17/09/2025
ANALYSE

Analyse// La recomposition du monde sur les décombres des empires

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Par Mohamed Chérif BELMIHOUB (*)

L’économique est le facteur déterminant de la domination et aussi de la décadence des empires ; ceci est plus vrai maintenant que dans le passé, en raison des rapprochements par les moyens de communication et de logistiques. La mondialisation « heureuse » portée par des institutions de Bretton Woods (Banque Mondiale et FMI, Dollar) et les autres avatars comme l’OMC, la CNUCED, … au profit des pays développés a fait son temps. Après avoir tiré profit de ce système post-guerre mondiale, l’Occident se trouve aujourd’hui confronté à des situations économiques très difficiles. L’émergence de nouveaux acteurs sur la scène économique mondiale a aggravé la situation des pays développés, alors que le rattrapage technologique par le Sud se met en place et la bataille des matières premières s’annonce violente. Les USA, empire des temps modernes, commencent  à perdre les avantages du système qu’ils ont mis en place dans les années 1940, comme l’hégémonie du dollar, le contrôle du pétrole (pétrodollars), le contrôle des petits pays dotés en ressources naturelles etc. Quelques signaux faibles d’une décadence de l’empire sont observables, ce qui le rend plus violent (protectionnisme aveugle), intervention militaire directe (Irak, Gaza, Iran, Syrie…) et remise en cause des instruments de libre-échange (OMC).

Il est des fins d’empire qui prennent beaucoup de temps et laissent beaucoup de dégâts. C’est le cas de celui des USA. A vrai dire, il n’est pas encore à sa fin, mais des signes annonciateurs de celle-ci commencent à apparaitre. Il n’a pas duré longtemps, moins d’un siècle, comparé à d’autres qui en ont traversé plusieurs. L’empire américain a été très dominant, très influent et très présent sur l’ensemble de la planète. Sa puissance économique est sa principale caractéristique. La seconde guerre mondiale lui a donné la légitimité et renforcé sa puissance. Il a hérité de l’empire britannique (au plan symbolique et culturel, mais aussi de quelques alliances) et de la faiblesse des autres pays de la vielle Europe. Les empires  ottoman et britannique ont disparus presque en même temps, après la première guerre mondiale, laissant derrière eux une Europe éclatée et un Moyen Orient à feu et à flamme. L’Asie était loin des enjeux mondiaux, même si le Japon montrait des velléités de conquêtes dans son voisinage, la Chine et la Corée étaient des proies faciles. En Europe, l’Allemagne, héritière de l’élan des réformes institutionnelles, sociales et économiques de Bismarck, avait l’ambition de bâtir un empire, avant même les USA, grâce à sa politique de réunification des Etats germainssous l’impulsion de la Prusse. 

En face, et toujours comme héritage de la guerre, s’est constitué un autre empire sous le nom d’URSS, en réalité russe. Ce dernier a eu une durée de vie encore plus  courte, 70 ans ;  il a été emporté principalement  par sa faiblesse économique et les tirs croisés de ses adversaires d’Orient et d’Occident. Sa base idéologique et ses idéaux révolutionnaires n’ont pas tenu devant son inefficacité économique et son retard technologique.  Pourtant sa technologie militaire était au summum  et égalait, sinon, dépassait celle de l’Occident. Le transfert de cette dernière dans le domaine civil n’a pas pu se concrétiser. Son économie faiblement productive, peu moderne, crée une pénurie chronique  (L’économiste hongrois, Janos Kornaï, a consacré un livre à ce sujet, « l’économie de la pénurie » en 1985), ajoutée à l’absence de liberté ont fragilisé les soutiens populaires d’une mosaïque de peuples et de cultures différentes. L’impasse économique conjuguée à la pression d’un autre empire très en vue, les USA, ont eu raison de sa fin. Sa disparition était douce, rapide et sans grands impacts économiques sur l’économie mondiale. Il n’a pas été remplacé, pour le moment. L’émergence de la Chine pourrait être une forme d’empire du Grand Sud. Les empires du 20ème siècle sont bâtis sur la puissance économique grâce au développement technologique dans tous les domaines.

La fin d’un empire est toujours douloureuse pour ses composantes internes, pour ses connexions voisines et pour l’ensemble de l’économie. L’exemple de la dislocation de l’empire ottoman continue à produire des effets à ce jour (crise au Moyen Orient, crise dans les Balkans, conflits en Asie mineure…). L’une des raisons de la décadence de l’empire ottoman est sa faiblesse économique et technologique. Il ne pouvait continuer sans une évolution technologique et une réforme institutionnelle. La seule base religieuse (Khilafa)  n’a pas suffi pour maintenir une cohésion des peuples et des cultures très différentes les unes des autres. Son retard technologique et économique  était fatal lors de la première guerre mondiale. Il a été dépecé par les vainqueurs. 

Il est difficile de pronostiquer la  fin d’un empire ; mais des signaux sont généralement observés sur son déclin progressif.  On ne peut que spéculer sur sa faiblesse et sur les signes cliniques de sa décadence et celle de ses alliances. Un empire est généralement puissant parce qu’il offre à ses alliés une protection à grande échelle, allant d’une protection militaire des frontières à la protection des routes commerciales, maritimes, terrestres et spatiales.   L’Amérique a joué tous ces rôles depuis la deuxième guerre. Sa véritable puissance est encore dans la capacité de ses universités et centres de recherche dans la recherche-développement et l’innovation technologique. Elle a devancé tous les autres pays, ce qui lui a permis d’avoir  une avance économique décisive. Aujourd’hui, le PIB américain est 10 fois supérieur à celui de la Russie. Il était 50 fois supérieur à celui de la Chine il y a 30 ans ; en 2024, il est à peine de 1.6 fois. Même si elle est encore la première économie mondiale, l’Amérique est talonnée par son challenger qui affiche une ambition de la détrôner en 2030. Au plan économique, le challenge de la Chine est une réalité tangible. C’est pourquoi Trump utilise tous les moyens, conventionnels ou non,  pour retarder ce sur-classement par la Chine. Il taxe les importations venant de Chine et des pays qui développement des relations fortes avec ce pays. Les USA sanctionnent, pour des motifs farfelus, les pays qui approvisionnent la Chine en énergie (Iran, Russie) et depuis peu, les USA cherchent par tous les moyens à mettre la main sur les matières premières et minérales rares pour se soustraire de l’emprise chinoise sur ce secteur.  L’agonie peut durer longtemps et pendant cette période, la violence sera la règle dans les relations avec les autres Etats. Trump prépare même un remplacement de son principal allié,  l’Europe occidentale, vieille, déclinante et malade, par les Etats  de l’Asie-Pacifique, jeunes, ambitieux, productifs et innovants.  La Russie aussi cherche à se maintenir, mais elle est de plus en plus vulnérable au plan économique et surtout au plan démographique.

Le dernier sommet de l’Alaska entre  Trump-Poutine a porté plus sur la reconfiguration du monde que sur la crise Russie-Ukraine.  Il est question du passage à la post-mondialisation, l’amorce d’une géopolitique des métaux précieux/rares et la mise à l’écart de l’Europe et l’affaiblissement de l’OTAN.

Pour passer à ce nouveau Monde, il faut, du point de vue de Trump, solder les reliquats des problèmes hérités des empires ottoman, soviétique et britanniques, dans les Balkans, en Europe centrale (Ukraine) en Asie mineure (Arménie, Azerbaïdjan…) et au Moyen Orient. Gaza sera le test de la nouvelle recomposition des rapports de force. Dans une première phase, il s’agira d’éviter l’effondrement d’Israël, l’enfant gâté de l’Occident. La fin d’Israël, que tous les analystes géopolitiques annoncent pour bientôt, accélérera la chute de l’empire américain. Les autres anciens empires, Ottoman et Russe entre autres, cherchent eux aussi  à se reconstituer sur une partie au moins de leurs anciens territoires. La Turquie a accepté de jouer un rôle au Moyen Orient : Soutien à  Israël et en contrepartie, une liberté d’action contre les Kurdes. Elle peut aussi manœuvrer dans le monde arabe sur les traces de l’empire ottoman. Ainsi ses actions en Libye, en Syrie et même en Irak sont tolérées.  L’Iran sera un acteur important dans la nouvelle recomposition et risque de contrecarrer les stratégies de la Turquie et de l’Arabie Saoudite dans la région.

Pendant ce temps, la Chine bâtit son empire économique, sans occupation de territoires étrangers et sans abuser d’une influence sur les Etats partenaires ; mais en « colonisant » les usines et les marchés du monde entier.

Au final, dans le contexte actuel de violences et de non  droit, les Gazaouis, à défaut d’avoir un Etat,  sont le seul peuple libre de la planète.

(*) Ancien ministre, Professeur en Economie Institutionnelle et en Management

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