21/12/2024
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Chronique Eco– La Syrie : le jour d’après, de quoi sera fait ?

Le pouvoir syrien est tombé en moins de 10 jours, sans surprise pour beaucoup. Pourtant, le processus de cette chute a commencé il y a plus de 13 ans. Cette fois-ci le mode opératoire a obtenu un consensus quasi-total de toutes les parties prenantes locales et internationales. Selon certaines sources, même les tenants du pouvoir n’étaient pas surpris par la rapidité de la chute et le retrait des forces de l’armée régulière. Il n’est pas dans notre propos d’analyser ce qui réellement s’est passé en amont de cette chute soft, nous nous limitons aux questions économiques du jour d’après. Beaucoup d’écrits d’experts et de chroniqueurs  de presse ont avancé des hypothèses ou parfois des assertions sur les négociations ayant abouti à la chute du pouvoir Baath et son remplacement par les nouveaux « vainqueurs » sortis  d’organisations classées terroristes par les pays comme les USA et l’UE. La lessiveuse a bien fonctionné en transformant des « rebelles terroristes » en dirigeants fréquentables. Le nouveau pouvoir a été accueilli avec bienveillance et considération par les différents Etats et diplomates. Une semaine après leur prise de pouvoir et déjà  trois ambassades sont installés à Damas : Turquie, Qatar et Jordanie.  Les deux principaux alliés de l’ancien régime, Russie et Iran, déclarent entretenir des contacts avec les nouveaux maîtres de Damas ; ont-ils été impliqués dans les « négociations » en amont ? Les USA aussi déclarent avoir des contacts avec les nouveaux dirigeants. Jamais une prise de pouvoir par les armes n’a été aussi lisse et soutenue par les pays occidentaux. Dans le monde arabe, hormis le Qatar, aucun pays n’a encore exprimé une position franche vis-à-vis du nouveau pouvoir en Syrie.  La ligue arabe qui a exclu la Syrie d’El Assad, , de ses rangs (réintégrée en 2022) brille par son silence.

Les jours, les mois et les années à venir fourniront certainement les détails sur ce qu’il s’est passé réellement à ce sujet. La Syrie a cristallisé, au cours des dernières années,  les contradictions et les oppositions dans les relations internationales. Les intérêts dans cette région sont tellement divergents que le statuquo a été maintenu et parfois souhaité pendant très longtemps. 

Alors qu’elles seraient les conséquences économiques de cette « transformation majeure » ?

Le magazine Afrique-Asie.fr a même titré sa « Une » du 11 décembre 2024 : « Syrie – Gagnants et Perdants ou les deux ». Et il prédit que le pays se désagrège en précisant : «  Les acteurs extérieurs et intérieurs tenteront de s’emparer et/ou de contrôler autant de parties du cadavre qu’ils le pourront. » En gros, selon ce magazine, les gagnants sont Israël,  Turquie et USA, alors que les perdants sont la Russie, L’Iran et les Kurdes. D’autres publications et déclarations sont au contraire optimistes pour l’avenir de la Syrie.

Il n’y a aucun doute que les syriens sont les plus grands gagnants de la chute du régime El Assad si le pays retrouve son  unité et récupère l’intégralité de son  territoire dont plusieurs régions sont aujourd’hui occupées ou sous contrôle de puissances étrangères (Turquie, Iran, USA, Israël, Russie) et des protagonistes intérieurs (Kurdes, Daesh, Alaouites, autres factions armées).

L’économie syrienne était très dynamique dans les années antérieures à la crise. Une agriculture très productive grâce à un système d’irrigation  ingénieux sur les bords de l’Euphrate et un tissu de PME très entreprenantes dans les industries manufacturières, la construction et les services. L’économie informelle est très florissante et emploie de nombreux syriens.

Le Qatar, qui n’est pas cité, est certainement l’un des gagnants au plan géopolitique et économique. La disparition du verrou syrien (d’El Assad) pour l’acheminement de son gaz vers la Turquie et l’Europe est l’enjeu principal de cette mutation. Ce gazoduc allant de Qatar à la Turquie doit passer par l’Arabie Saoudite, la Jordanie et la Syrie. A priori, ce gazoduc ne fait pas l’affaire de la Russie, sauf à considérer que la Russie a fait le deuil du marché européen pour son Gaz qui est aujourd’hui vendu en Asie (la Chine et l’Inde principalement). D’autre part, avec le Gaz du Qatar, celui de l’Azerbaïdjan et même d’Iran, la Turquie se positionnera avantageusement comme Hub gazier de premier plan en Europe et en méditerranée.  Le transport du gaz par gazoduc donne un avantage certain par rapport au transport du GNL par méthaniers. Selon ce schéma, le marché européen, le plus important actuellement, verra une compétition entre plusieurs sources d’approvisionnement dont l’Algérie.

La relance de l’économie syrienne devra se faire par la reconstruction. Les besoins sont énormes en termes d’infrastructures de toutes natures (villes et logements, réseaux routiers, réseaux d’énergies et d’eau, bâtiments publics, infrastructures éducatives et sanitaires….). Les estimations des besoins varient entre 500 et 600 Mds de $ sur 10 ans. L’aide internationale bilatérale ou multilatérale par les bailleurs de fonds institutionnels et l’investissement privé par un financement sur les marchés financiers et bancaires. Au cours des premières années, ce sont les aides directs qui vont servir d’amorçage à une dynamique économique. La reconstruction sera un levier déterminant dans la relance de l’économie par une distribution de revenus et une demande de différents produits comme les matériaux de construction, les produits industriels, les produits de consommation et les services de base. La Syrie avait un système bancaire très archaïque. Sa modernisation doit être une priorité pour gérer les flux financiers induits par les programmes de reconstruction. La phase de reconstruction sera décisive pour attirer les investisseurs privés locaux et internationaux.

Sans la solidarité de la communauté internationale et l’intervention massive des institutions financières internationales, la reconstruction peut prendre plusieurs décennies et l’économie s’enlisera dans des rouages de marché noir, de trafic de tout genre qui conduiront à une paupérisation à grande échelle ; c’est-à-dire un nid pour tous les trafics et tous les extrémismes.

Le jour d’après peut conduire, si on ne prend pas les résolutions nécessaires et fermes aux niveaux local et international, à toutes les options.  

ANOUAR EL ANDALOUSSI

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