Chronique Eco– Le capitalisme de Marx de Weber est mort, vivaent le numérique et le Cloud
Les institutions du capitalisme version Marx tombent l’une après l’autre. Les droits de propriété atomisés, les monnaies anesthésiées, les relations de travail anéanties. Le capital devient de plus en plus invisible à travers de multiples transactions au jour le jour. Mais ceci est déjà observé depuis très longtemps. Ce qui est nouveau est « la disparition » du marché, principale institution du capitalisme. En effet, le capitalisme ne peut vivre et ne peut se développer sans le marché, et le profit est la rémunération du risque pris dans ce marché dit concurrentiel.
Deux marchés concurrentiels même s’ils sont très différents : à Mesra, dans la wilaya de Mostaganem (marché hebdomadaire multi produits allant des voitures d’occasion aux lapins en passant par les tissus, les caprins, la boucherie et produits alimentaires et les équidés, sans oublier les plantes médicinales et les perroquets…) la règle de base de la concurrence est la criée, à El Eulma dans la Wilaya de Sétif (bazar à grandes échelles des produits industriels allant de l’électronique et l’électroménager à l’outillage en passant par les produits chimiques et les matériaux de construction), la règle dans ce marché est l’exhibition des produits en grands volumes et la négociation des prix. Sur le premier marché, l’information et instantanée et l’achat est immédiat ; dans le second, l’information est préalable et l’expérience compte beaucoup, avant de négocier il faut disposer de l’information des transactions sur les autres marchés (magasins, showroom, foires et salons etc.). A El-Eulma, les plus grandes transactions se font par téléphones et sur les réseaux sociaux pour couvrir un large spectre des transactions. Premier point de rupture avec le marché traditionnel qui reste localisé.
Dans les deux cas, les acheteurs et les vendeurs sont bien informés. Entre ces deux marchés, très transparents, il y a un autre type de marché, celui des produits subventionnés, des produits rares ou réglementés… il y a un marché opaque, fermé, négociations nocturnes, marché à terme etc. Ceci pour le contexte algérien des marchés des biens et services et pour lequel, l’Etat consacre de l’argent et des efforts pour lui donner un sens, d’où l’émergence d’un ministère de la régulation.
Revenons à notre sujet sur le numérique. Le mensuel, Monde Diplomatique, du mois d’Août 2025, a publié un article sous le titre « Le Numérique nous ramène-t-il au moyen âge ? » signé par Evgeny Morozove. L’article très bien documenté, retrace l’évolution du numérique, ses enjeux, ses principaux acteurs, ses investissements colossaux et bien entendu ses impacts sur l’économie et la société. D’emblée, il annonce : « Un débat fait rage : les géants de l’intelligence artificielle ont-ils changé leurs utilisateurs en serfs et en vassaux condamnés, comme au Moyen Âge, à trimer gratuitement et à payer la rente ? Ou appliquent-ils à la lettre, mais avec des produits sophistiqués, les vieilles recettes du capitalisme industriel ? » Elon Musk apparait comme le principal promoteur de cette Tech qui va transformer le monde et ses règles, quant aux valeurs éthiques et morales il faudra repasser.
Il est considéré comme un magnat techno-féodalisme. Dans cet article on y lit aussi les données sur le volume des investissements dans l’infrastructure IA. Ainsi, Donald Trump rapportait de sa tournée dans le Golfe la promesse d’investissements dans l’économie américaine, essentiellement destinés aux infrastructures de l’intelligence artificielle : l’Arabie saoudite a annoncé 600 milliards de dollars, le Qatar, 1200 milliards, les Émirats arabes unis, 1 400. Ils s’ajouteront aux 1 000 milliards misés par le Japon en février et les 100 Mds de dollars qu’Amazon prévoit d’investir, presque exclusivement dans l’infrastructure IA.
L’auteur ajoute : « Dans ce nouveau féodalisme, nous ne vendons plus seulement notre force de travail ; nous payons pour avoir le privilège de nous faire exploiter ».
Dans le capitalisme, les entreprises se concurrencent sur des marchés plus ou moins concurrentiels, décentralisés, pour tirer profit des marchandises qu’elles fabriquent. Plus ces dernières s’avèrent utiles et efficaces, plus les profits grimpent – et, toutes choses étant égales par ailleurs, plus grands sont les profits qu’en retire la société. En effet, le profit (fruit de la concurrence et de la production et surtout du risque de l’investisseur) y aurait été remplacé par la rente (fruit d’une soumission à une Hi-Tech.). « Les capitalistes fabriquaient des produits ; les seigneurs du numérique se contentent de monétiser les ressources en ligne qu’ils maîtrisent. Les plateformes, Amazon, eBay, Alibaba, mais aussi Facebook et Google Market place, concentrent « le pouvoir de mettre en relation des acheteurs et des vendeurs – soit l’exact contraire de ce qu’un marché est censé être : décentralisé ». Ce sont les « fiefs du Cloud », des zones commerciales numériques et centralisées où l’extorsion féodale a remplacé la concurrence marchande. »
Les investissements colossaux engagés ne peuvent être justifiés par le profit espéré ; seule la rente peut en fait motiver ces engagements. Ces brigands du numérique ramasse gratuitement les informations que nous leur livrons et les stockent, les traitent et nous les revendent à prix fort.
Comment va fonctionner l’économie réelle, celle de la production, de l’usine, de la force de travail pour justement alimenter les échanges numériques ? Il y a l’automate, le robot, le télé travail, mais l’homme sera où ? Et comment il remplit une mission, une tâche pour assure sa survie ?
Nos marchés de Mesra et d’El Eulma paraissent comme un idéaltype du capitalisme éthique. Le numérique va balayer ces marchés et les remplacer par des Algorithmes. Les importateurs et les producteurs cèderont leur rente aux plateformes, mais les consommateurs vont payer encore plus chères les produits et services. Vous achetez de chez vous, vous payez sur un écran et un clavier et vous êtes livrés chez vous. Tout ce confort vous le payez malgré vous et vous êtes exploités, avec votre assentiment, par des machines et des câbles.
La criée et la négociation vous les achetez sur écran (pourtant ce sont les vôtres) avant d’acheter les produits et services. Les sociologues et les psychologues et même les philosophes doivent nous éclairer sur ce que sera le monde numérique, ses avatars, ses conséquences, ses « valeurs »…
ANOUAR EL ANDALOUSSI