Réforme du commerce extérieur: Tebboune mise sur une stratégie à long terme
En reportant la création des deux agences nationales chargées de réguler les activités d’importation et d’exportation, le président Abdelmadjid Tebboune envoie un message clair : l’Algérie engage une réforme stratégique de sa politique commerciale, menée avec méthode, lucidité et ambition. C’est ce qu’a affirmé l’économiste Abderrahmane Hadef, invité lundi de la « chaîne I » de la Radio nationale.
Selon lui, cette décision traduit une volonté présidentielle d’asseoir un cadre institutionnel solide, capable d’accompagner efficacement la transition économique du pays. « Le report de ce projet reflète une conscience aiguë des enjeux qu’il porte, notamment en matière de diversification économique et d’ouverture sur les marchés internationaux », a-t-il souligné. Il s’agit, poursuit-il, d’un choix stratégique qui permet d’éviter une mise en œuvre précipitée d’un dispositif aux conséquences structurelles majeures.
Inscrite dans un vaste chantier entamé en 2020, la création de ces deux agences, l’une dédiée à l’importation, l’autre à l’exportation vise à structurer un secteur encore marqué par la dispersion des responsabilités et la persistance de pratiques informelles. Le président a d’ailleurs appelé à l’enrichissement des textes réglementaires qui encadreront ces nouvelles structures, avec l’objectif de les aligner sur les normes internationales et de leur fournir les outils de gouvernance modernes nécessaires. «Nous avons besoin d’un cadre institutionnel qui résiste dans le temps, aligné sur les standards mondiaux, et capable d’évoluer avec les mutations économiques globales », a insisté Hadef. Il y voit aussi une rupture assumée avec les pratiques antérieures, souvent caractérisées par l’improvisation et le manque de cohérence.
Ce chantier s’inscrit plus largement dans une dynamique de redressement économique visant à faire émerger un nouveau modèle de développement. Il entend notamment stimuler les exportations hors hydrocarbures, avec un objectif affiché de 10 milliards de dollars d’exportations non pétrolières d’ici la fin de l’année. Il s’agit aussi de réduire les importations en soutenant la production nationale, dans le but de rééquilibrer la balance commerciale et de renforcer les réserves en devises. L’amélioration de la compétitivité figure également parmi les priorités, notamment à travers la réduction des coûts logistiques, actuellement estimés entre 30 % et 40 % du prix des produits. « Nous visons un coût logistique autour de 15 %, ce qui est la norme dans les économies structurées », a précisé l’économiste.
La réforme prévoit en outre l’intégration d’outils de numérisation et de suivi en temps réel du marché, afin de renforcer la transparence et d’optimiser la gestion des flux commerciaux. Pour Hadef, « la numérisation est aujourd’hui un levier incontournable pour assurer la traçabilité, identifier les acteurs réels du commerce extérieur, et adapter les décisions aux besoins concrets du marché national ». Les deux futures agences auront ainsi pour mission de collecter et d’analyser les données du marché, de surveiller les tendances et d’évaluer la capacité effective des opérateurs économiques. La présidence a par ailleurs annoncé la tenue prochaine d’un conseil ministériel restreint pour arrêter les mécanismes opérationnels de mise en œuvre du projet. Une initiative saluée par Hadef, qui y voit une preuve d’engagement fort : « En plaçant ce projet sous sa supervision directe, le président donne à cette réforme un poids politique et institutionnel décisif. Cela rehausse le niveau de responsabilité et garantit l’efficacité des décisions à venir ».
L’expert a rappelé que le succès de cette réforme repose avant tout sur une vision fondée sur l’intelligence économique : une connaissance précise des besoins du pays, une lecture fine des tendances mondiales et une sélection rigoureuse des opérateurs économiques. « L’Algérie ne peut plus se permettre d’évoluer dans un système commercial archaïque. Elle doit construire un modèle performant, transparent et stratégique, en phase avec les enjeux du XXIe siècle » ,a-t-il conclu. Pour sa part, l’Association nationale des commerçants et artisans (ANCA) a souligné l’importance de la décision de Monsieur le Président de la République relative à la nécessité d’enrichir les textes juridiques encadrant les organismes d’exportation et d’importation, ainsi qu’à la définition de normes algériennes spécifiques devant être respectées par l’ensemble des opérateurs économiques importateurs. À ce titre, l’association invite « tous les importateurs à saisir l’opportunité de s’organiser en coopératives d’achats groupés, afin d’assurer une plus grande transparence dans leurs activités et de réduire les coûts, notamment dans le contexte des fluctuations que connaissent les marchés mondiaux». Il s’agit également d’une opportunité dont peuvent bénéficier les producteurs locaux, notamment les artisans, les petites entreprises et les start-up, à travers la création de coopératives de production leur permettant d’acquérir une plus grande compétitivité, tant dans l’importation de matières premières que dans l’exportation de leurs produits vers les marchés extérieurs.
Par Mourad A.