Contribution// Macronisme, néocolonialisme, algerophobie… et complicités
Par Yazid Ben Hounet, Anthropologue
Il souffle actuellement en France un vent mauvais, pestilentiel… algerophobe. Cela ne m’étonne guère. J’avais déjà signalé au lectorat algérien, entre 2019 et 2021, ainsi que dans mon ouvrage Hirak et propagande médiatique en contexte postcolonial (paru à l’ANEP en 2021) les arguties communicationnelles du macronisme et ses actions effectives de soutien au colonialisme makhzenien au Sahara Occidental et sioniste en Palestine. L’Algérie continue donc de déranger la macronie, leurs alliés et la caste médiatique qui leur sert de porte-voix… À cela s’ajoute bien sûr l’extrême droite nostalgique de la nuit coloniale.
Cette haine de l’Algérie est en outre exacerbée par le génocide en Palestine[1]. La complicité de toute une partie de l’échiquier politique, médiatique et économique français est aussi révélatrice du refoulé colonial. On a ainsi vu, plusieurs mois durant, le colonisateur français, avec l’aide de quelques plumitifs, supplétifs néocoloniaux, s’abrutir, « se réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral », pour reprendre les mots d’Aimé Césaire. On a en effet pu saisir, face à l’inaction de la France, voire sa complicité envers l’entité génocidaire, l’étendue de l’effondrement moral du gouvernement français actuel et d’une large partie du paysage médiatico-politique français.
Bruno Retailleau et l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt[2], aux propos aussi détestables soient-ils, se sont surtoutmanifestés au moment du deuxième mandat de Macron, et ils ne sont malheureusement que la pointe immergée de l’iceberg. Mais le problème est à la fois plus ancien et plus profond. Pour ma part, je n’oublie pas le lapsus révélateur d’Emmanuel Macron, lorsque le 30 septembre 2021, il s’interrogeait publiquement sur l’existence d’une nation algérienne, avant la « conquête » française, et critiquait la « rente mémorielle » du « régime politico-militaire » algérien[3].
Il faut en outre avoir l’arrogance colonialiste chevillée au corps pour estimer que la reconnaissance officielle de la responsabilité de la France dans les assassinats de Maurice Audin, Ali Boumendjel et Larbi Ben M’hidi – faits connus de tous et en même temps une goutte d’eau dans un océan de crimes coloniaux non reconnus – susciterait à la fois la gratitude de la société et du gouvernement algériens … et une plus grande ouverture aux marchés du pays des martyrs – Allah yarham shuhadâ !
La sortie publique, explicitement raciste, algerophobe, sur la prétendue dangerosité de millions d’Algériens en France, de Noelle Lenoir, ancienne ministre française, « soutien indéfectible d’Israël », et au passage de Boualem Sansal, a pu faire sursauter et réagir plusieurs collectifs anti-racistes en France. Et cela est une bonne chose. On rappellera pour situer le personnage que cette dame a été initialement élue sous l’étiquette du Parti Socialiste, puis sous celle de Divers Droite et a fini par soutenir la candidature d’Emmanuel Macron en 2017. Du pur « en même temps » donc.
Comme une petite revanche sur l’histoire, près d’un an après l’alignement du président Macron sur la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental (30 juillet 2024), 114 avocats français, membres de l’association « Pour la justice au Proche Orient », signaient le 22 juillet 2025 une requête adressée au procureur de la Cour pénale internationale (CPI). Sont cités pourcomplicité du génocide en cours à Gaza : Emmanuel Macron, François Bayrou, le ministre des Affaires Étrangères Jean-Noël Barrot, le ministre des Armées Sébastien Lecornu, et 19 députés de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. Dans la liste, outre des députés du Rassemblement National, on trouve surtout des élus de la macronie et de leurs alliés[4]. Et notamment la députée macroniste Caroline Yadan.
On repense alors à cette annonce programmée, télévisée, du génocide en Palestine, qui a été formulée dès le 9 octobre 2023 par Yoav Gallant, ancien ministre génocidaire de la Défense israélien, actuellement sous mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale. Douze jours plus tard, le 21 octobre, la présidente de l’Assemblé Nationale française, Yaël Braun-Pivet (une autre macroniste), accompagnée d’Éric Ciotti (alors président du parti les Républicains) et des députés Mathieu Lefèvre (également macroniste) et Meyer Habib, participait de la propagande menée par Israël, en s’affichant aux cotés de l’armée génocidaire. Trois jours après, le 24 octobre, le président français Emmanuel Macron, en visite à Jérusalem, dans les bureaux du premier ministre de l’Etat hébreu, enfonçait le clou en proposant de mobiliser la coalition internationale contre l’Etat Islamique pour « lutter contre le Hamas ». Tout cela, en ayant connaissance et peut être in fine en soutien des déclarations du ministre génocidaire de la Défense israélien.
Les chercheurs consciencieux – qui ont alerté dans les premiers temps sur le génocide en Palestine (cf. mon texte Génocide en Palestine) –continueront à faire le bilan des complicités de celles et ceux, dans la macronie et au-delà, et ils sont nombreux en France, qui criaient au « droit d’Israël de se défendre » alors que cette entité bombardait une population qu’elle occupait déjà depuis des décennies, rendant ainsi acceptable, et donc possible, l’extermination du peuple palestinien.
Il n’y a pour l’Algérie, pour les Algériennes et Algériens, aucune, mais aucune leçon à recevoir de ces néo-colons et algerophobes là… et de celles et ceux qui leur mangent dans la main ou tendent d’arrondir les angles.
Pour le bien de la France même, du moins celle qui ne se résout ni à son effondrement moral ni à son glissement dans le fascisme, il est plus que souhaitable de soutenir les actions en justice dont celles menées par l’association « Pour la justice au Proche Orient » à l’encontre de certains responsables politiques français actuels (indiqués plus haut), par l’Union Algérienne et SOS racisme contre Noelle Lenoir, par Maître Khadija Aoudia contre Bruno Retailleau.
On terminera par dire notre soutien et notre admiration pour le combat mené par Maître Khadija Aoudia, en rappelant une de ses précédentes victoires au sein des tribunaux français, celle contre les promoteurs de la thèse du « qui-tue-qui ? »[5].
[1] Cf. mes textes datant de décembre 2023 – https://lundi.am/Genocide-en-Palestine – et octobre 2024 – https://lundi.am/Du-mepris-colonial-au-genocide-De-l-Algerie-a-la-Palestine
[2] Cf. mon papier « Le texte de Xavier Driencourt : un pur condensé du complexe du colonisateur et de paniqueréactionnaire », Le Soir d’Algérie, 23 janvier 2023.
[3] Cf. à ce propos mon texte « Algérie : décoloniser le regard », paru en deux parties dans Le Soir d’Algérie du 2 et 3 aout 2022.
[4] Génocide à Gaza : 114 avocats contre la France. Document disponible ici :
[5] « Suite à une longue cabale enclenchée par les ‘quituquiste’, deux patriotes algériens font condamner l’État français », Le Soir d’Algérie, 16 juin 2021 ; « Affaire des Patriotes de Relizane jugés en France. La défaite du ‘qui-tue-qui ?’ », Le Soir d’Algérie, 16 juin 2021. Cf. également mon texte « Algérie : décoloniser le regard » (version revue en novembre 2024) : https://blogs.mediapart.fr/yazidben-hounet/blog/261124/algerie-decoloniser-le-regard ; première version parue en deux parties dans Le Soir d’Algérie du 2 et 3 aout 2022.