Vision algérienne de l’IA: Priorités et secteurs clés
Alors que l’Algérie accélère sa transformation numérique, l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme l’un des leviers majeurs du développement national. À l’École supérieure de l’intelligence artificielle (ESIA), l’intégration de cette technologie dans les secteurs prioritaires n’est plus un vœu pieux mais une dynamique en construction, portée par des étudiants, des enseignants et des partenaires industriels. Fouad Dahak, directeur adjoint en charge de la recherche scientifique et de l’entrepreneuriat à l’ESIA, en dresse un tableau éclairant.

Intervenant sur la « Chaîne III » de la radio nationale, M. Dahak a rappelé que l’Algérie a désormais une stratégie nationale de l’intelligence artificielle clairement définie et publiée. Elle fixe les grandes priorités : l’agriculture, la santé, la cybersécurité et l’éducation. Des domaines où l’IA peut jouer un rôle décisif, notamment en matière de productivité, d’optimisation des processus et de modernisation des services publics. Ces orientations, soutenues par les plus hautes autorités du pays, s’inscrivent dans une logique de souveraineté technologique. « Nous ne sommes pas encore dans une IA généralisée, mais dans des applications ciblées, à fort impact. Et l’agriculture, la santé et la formation sont, selon moi, les secteurs à fort retour sur investissement », a-t-il affirmé.
Exemple concret de cette vision appliquée : l’Agri-Challenge, organisé à l’initiative de l’école. Durant quatre jours, 125 étudiants ont développé des solutions d’intelligence artificielle au service de l’agriculture, avec un objectif clair : constituer un dataset de plus de 580 000 images de plantes annotées, exploitables pour entraîner des modèles de reconnaissance. « L’image, la donnée, c’est la matière première de l’IA. Sans elle, pas de modèles performants. Cette base de données végétale, construite sur le terrain, servira à améliorer les capacités de classification des systèmes IA en agriculture », a-t-il expliqué.
L’intelligence artificielle est désormais très présente au-delà des bancs de l’école, comme en témoignent plusieurs startups nées de l’impulsion étudiante. Parmi elles, on trouve « L’Antiverse », une application qui structure les cours grâce à la capture d’écran et à Google Agenda, ainsi que « Noroho », une plateforme de covoiturage labellisée startup innovante. Un autre projet notable est un système de recommandation universitaire, développé en collaboration avec le ministère, qui se base sur les profils des nouveaux bacheliers. Ces initiatives illustrent parfaitement l’objectif pédagogique de l’école : confronter les étudiants à des problématiques réelles dès leurs premières années, tout en les préparant à créer leur propre entreprise. « Aujourd’hui, l’université algérienne est en train de changer. L’étudiant n’attend plus la fin du cursus pour entreprendre. Il veut créer, innover, interagir avec les entreprises », a-t-il observé.
Cette orientation est soutenue par un écosystème solide : quatre incubateurs d’entreprise (Sonatrach, Algérie Télécom, Sonelgaz, Agence spatiale), des passerelles actives avec les entreprises et une plateforme de dépôt de projets de fin d’études. Chaque année, des entreprises soumettent des problématiques concrètes aux étudiants. « L’IA peut s’appliquer partout : agriculture, hydrocarbures, santé, administration, cybersécurité…, et grâce à l’implication croissante des entreprises dans nos modules, les projets sont de plus en plus pertinents », a-t-il affirmé.
Une IA algérienne, par et pour les Algériens

Au cœur de tous les défis reste la question de la donnée. L’IA repose sur trois piliers : l’infrastructure de calcul (GPU, data centers), les modèles, et surtout la data. « La donnée, c’est le pétrole de l’IA. Sans qualité ni volume, les modèles sont inefficaces. Il nous faut une stratégie nationale de gestion et d’accès à la donnée, avec une agence dédiée à sa régulation et à sa mise à disposition sécurisée ». Fouad Dahak a appelé à un effort national pour créer des datasets fiables dans tous les secteurs. Il alerte aussi sur les défis : sécurité des données, anonymisation, loi sur les données personnelles, responsabilité de traitement… autant d’éléments qu’il juge essentiels pour structurer l’écosystème. Pour soutenir cette stratégie, l’école a acquis un data center, opérationnel dès septembre 2025. « La puissance de calcul est le facteur clé pour nos travaux futurs. Et grâce aux outils open source, nos étudiants peuvent déjà s’exercer sans dépendre de licences onéreuses ». Avec l’entrée en cinquième année de la première promotion, l’ESIA passe à une nouvelle étape. Chaque étudiant travaillera une année entière sur un projet d’IA appliquée, en lien avec une entreprise partenaire, avec pour objectif la soutenance et l’obtention du diplôme sur la base de résultats concrets. Alors que les grandes puissances se livrent une bataille technologique féroce autour de l’IA, l’Algérie pose progressivement les fondations d’un modèle souverain et intégré, ancré dans ses besoins économiques et ses ressources humaines. « Sur l’IA, tous les pays sont au même point de départ, sauf sur les GPUs. L’Algérie a donc sa carte à jouer, à condition d’investir dans la donnée, la formation, la recherche et l’accompagnement », a-t-il conclu.
Par M A.