18/09/2025
ANALYSE

Chine-Taïwan: Le conflit qui menace

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Pékin a pour obsession d’absorber « l’île rebelle », mais une réintégration pacifique semble de moins en moins possible. Une absorption à l’usure, ou par blocus, voire une invasion pure et simple est donc vraisemblable entre 2027 et 2049. Au risque d’une confrontation économique et peut-être militaire avec les Etats-Unis et leurs alliés.

Par Yves Bourdillon

Selon toute vraisemblance, la Chine attaquera Taïwan un jour. Tout pointe vers ce scénario dramatique qui déboucherait sur un affrontement économique, voire militaire, entre Pékin et les Etats-Unis, défiés dans leur rang de première puissance mondiale et de « taulier » du Pacifique. Avec l’implication des pays européens et, en option, celle des Philippines, du Japon, de l’Australie, du Vietnam et de l’Inde, tous conscients qu’une victoire de Pékin lui permettrait de dominer toute l’AsiePacifique. En effet, le régime de Xi Jinping est obsédé par l’idée de réintégrer « l’île rebelle », ainsi qu’il désigne Taïwan, au motif qu’elle a été effectivement sous le contrôle de Pékin, quoique seulement de 1683 à 1895 : le reste du temps, elle fut sous souveraineté portugaise, néerlandaise, puis japonaise avant que n’y atterrissent, en 1949, les restes du régime nationaliste vaincu par Mao. Y renoncer est impensable pour le numéro un chinois, comme l’illustre la mention, dans sa doctrine de « rêve chinois », du fait que le « séparatisme taïwanais » serait la menace « la plus sérieuse à la réjuvénation nationale ». La réintégration se fera, selon lui, de gré ou de force. Donc vraisemblablement de force. En effet, une fin pacifique du statu quo se heurte au mur des réalités : selon les sondages, désormais seulement 6 % des 24 millions de Taïwanais souhaitent une réunification avec la Chine, 8 % se définissent avant tout comme chinois, alors qu’ils sont pourtant en grande majorité d’ethnie Han. Et les trois quarts se déclarent prêts à défendre l’île en cas de guerre. La manière dont le « un pays, deux systèmes » à Hong Kong a abouti au démantèlement de la démocratie et de l’Etat de droit a de quoi dessiller ceux des Taïwanais qui croyaient que la réunification serait avantageuse.

Dans 25 ans ou… 18 mois

Certains affirment que la Chine n’osera jamais attaquer car cela lui coûterait trop cher sur le plan économique du fait des sanctions occidentales. Sauf que ce même raisonnement avait conduit à catégoriquement exclure une invasion de l’Ukraine par la Russie, avec le succès que l’on sait. L’économie est au service de l’idéologie à Pékin. La Chine, atelier du monde, peut estimer que les Occidentaux n’oseraient pas lui tenir tête car ils auraient plus besoin d’elle que l’inverse.

 Puisque le pourquoi semble établi, faisant dire à l’amiral Michael Studeman, patron du renseignement maritime américain, « la question n’est plus de savoir si Pékin attaquera mais quand », reste justement à évaluer la fenêtre de tir que choisira le régime chinois. Ce dernier prendra sa décision en fonction de l’évaluation de sa puissance militaire et économique… et de la détermination estimée des Occidentaux et de leurs forces. Il est évident que Pékin veut avoir réabsorbé l’île rebelle avant de fêter son centenaire, en 2049, voire dès 2027, qui marque le centenaire de la constitution de l’Armée populaire de libération chinoise. Un créneau plus proche encore, quoique moins réaliste, existe : si jamais Joe Biden n’est pas réélu en novembre 2024, il sera alors un président dit « lame duck » (canard boiteux), devant passer la main trois mois plus tard et donc gêné pour prendre légitimement la décision la plus terrible depuis 1941, une intervention militaire contre une puissance nucléaire. Pour le comment, le choix se réduit logiquement à deux stratégies : le blocus ou la guerre, avec des variantes intermédiaires.

Le blocus, difficile

L’option du blocus pour faire tomber l’île comme un fruit mûr semble rentable, voire facile. Taïwan, qui importe les deux tiers de ses produits alimentaires et la quasi-totalité de son énergie, ne dispose en effet que de quelques semaines de réserves en produits de première nécessité. Mais il s’agirait d’un acte de guerre entraînant de sérieuses sanctions économiques de la part des Occidentaux et de leurs alliés, qui fournissent actuellement 42 % des importations de la Chine et absorbent 36 % de ses exportations. En outre, la responsabilité du « premier feu » incomberait à Pékin face aux cortèges de frégates américaines essayant de rétablir la liberté de circulation dans un détroit où se croise la moitié des porte-conteneurs du monde. L’histoire montre que tenir un tel blocus est difficile et « escalatoire ».

Un débarquement sans précédent
 Donc, tant qu’à se prêter à un bras de fer avec la marine américaine, autant ne pas « tourner autour du pot » et déclarer la guerre. Première option, un déluge de missiles sans débarquement, en misant sur la reddition d’un pays détruit. Deuxième option, une attaque combinée, aérienne, navale et amphibie afin de faire débarquer 1,3 million de soldats sur une île fortifiée et ne comptant qu’une dizaine de plages, à travers un détroit de 180 km. Le tout sous le feu d’une artillerie en voie de renforcement rapide sous l’égide de Washington. A côté, le débarquement des Alliés en Normandie en 1944, pourtant le plus ambitieux de tous les temps, passerait pour une plaisanterie.

Si Pékin dispose d’environ cinq cents navires de guerre, il ne possède toutefois que sept navires d’assaut amphibie 071… mais pourrait réquisitionner des centaines de paquebots de croisière. Diverses simulations sur ordinateur indiquent que Pékin arriverait à conquérir Taïwan en quelques semaines… mais échouerait systématiquement en cas de robuste intervention militaire américaine.

Au risque de pertes très lourdes des deux côtés, notamment si les missiles « tueurs de porte-avions » DF21 de Pékin, d’une portée de 3.000 km, tiennent leur promesse. En revanche, nul ne sait ce que vaut un soldat chinois dans un conflit réel. Le dernier à avoir vu le feu, en 1979 où il avait connu quelques « menues difficultés » face aux Vietnamiens, a pris sa retraite il y a longtemps. Une invasion n’est toutefois pas certaine. Pékin peut renoncer au vu de l’impact sur la prospérité de 1,45 milliard de Chinois pas forcément toujours dociles. Et la défaite éventuelle de Poutine en Ukraine, qui serait assortie sans doute de son élimination, pourrait amener Xi Jinping à reconsidérer sérieusement ses options…

Source Les Echos

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