Chronique Eco– Et si l’Afrique s’émancipait pour prendre son destin en main : un test par la valorisation souveraine de ses ressources minières
Parler de l’Afrique comme s’il s’agissait d’une entité homogène politiquement et économiquement, ce n’est pas du tout le cas. Les divisions internes sont encore nombreuses et parfois profondes. L’émergence de l’UA au plan politique est en soi une grande avancée même si à l’intérieur les frictions, les antagonismes et les référents politiques sont souvent observés à l’occasion des débats sur les sujets internationaux.
Au plan économique, la ZLECAF, l’organisation du libre-échange africain, a été le premier acte qui a obtenu un consensus pour son adoption, reste maintenant la question la plus difficile, sa mise en œuvre. Ce sont les initiatives au plan économique qui vont avoir un impact sur le continent et sa population, le politique suivra.
Actuellement, le débat porte sur l’Afrique comme objet des enjeux géopolitiques et comme acteur de ces enjeux. Le positionnement de l’Afrique, en tant qu’entité politique, sur ces enjeux est déterminant pour son avenir. Soit l’Afrique reste un objet pour les autres, soit elle s’émancipe pour prendre son destin en main. La question des ressources minières est au cœur de ces enjeux.
La seule motivation pour le développement de l’Afrique par les matières premières n’est pas suffisante. Faut-il trouver d’autres explications plus sérieuses. Parce que les matières premières minérales sont présentes sur toute la planète, la Chine, la Russie et les USA en sont de grands réservoirs. D’autres pays en Amérique latine et en Asie disposent de ressources minières abondantes. La cartographie minière du Monde, régulièrement mise à jour, donne des indications et des évaluations sur les potentiels miniers dans le monde. On remarque qu’à chaque mise à jour les potentiels évoluent et les classements des pays par type de minéraux changent aussi. L’erreur pour les africains c’est de considérer que le réservoir de matières minérales suffit à assurer leur développement. La dotation en matières premières n’est qu’un facteur favorable.
Alors spéculer sur les ressources minières rares dans tel ou tel territoire est devenu un exercice des analystes géopolitiques en rupture d’idées, des politiques en crise de légitimité, de journalistes en manque d’évènements.
On annonce tel ou tel minéral rare dont l’enjeu est très important pour l’économie mondiale et on construit le narratif approprié dont la durée de vie est très courte. Pour les ressources minérales et minières, ce qui est important c’est l’usage possible qui peut en résulter. Une matière devient importante, lorsque son usage est important et décisif dans un cycle productif. En matière minière, l’exploration et l’exploitation sont souvent complexes et coûteuses.
Selon des estimations, les réserves en ressources minières les plus importantes en Afrique sont dans les pays d’Afrique de l’Est (Ethiopie, Somalie, Kenya …) de l’Afrique Australe (Zimbabwe, Botswana, Afrique du Sud, Mozambique…) en RDC et en Afrique de l’Ouest (Guinée, Libéria, Niger…). Contrairement à ce qu’on peut penser, les investissements en Afrique, réalisés par des étrangers au cours des dernières années ne sont que marginalement localisés dans le secteur minier. L’essentiel des investissements est affecté aux secteurs de l’agriculture (Soudan, Kenya et Tanzanie) l’énergie, les infrastructures (portuaires, aéroportuaires et ferroviaires), l’armement et la sécurité (drones turcs). Le postulat que l’Afrique est un immense réservoir de ressources minières peut provoquer le phénomène de la malédiction des ressources. Au lieu de s’engager dans l’exploitation et la valorisation des ressources naturelles, on attend l’éventuel investisseur étranger. Ce dernier exporte sa production pour sa valorisation et donne une royaltie au pays d’Afrique. La dépendance s’installe pour longtemps. Les africains doivent comprendre que le développement doit se faire localement en exploitant directement et par les moyens locaux les ressources minières plutôt que de se contenter des royalties et autres droits de concession versés par des exploitants étrangers. Ce comportement rentier doit laisser place à l’entrepreneuriat et à l’investissement. Nous savons maintenant les conséquences des comportements rentiers : un désintérêt pour le travail et l’effort, une corruption généralisée et une prédation par les groupes de pressions et pas de développement. Il faut aussi insister sur la valorisation locale des ressources naturelles pour échapper aux fluctuations des prix sur les marchés internationaux. Une valorisation locale permet aussi d’intégrer les processus productifs locaux et ainsi contrôler les chaines de valeurs. Les ressources minières, hors celles de l’énergie (pétrole, Gaz, Charbon), n’ont pas une grande valeur à l’état brut. C’est dans la transformation que la valeur ajoutée est importante.
L’épuisement de ressources minières dans plusieurs pays développés et l’émergence de nouveaux besoins pour certaines matières minières pour de nouveaux usages dans les nouvelles technologies, les énergies renouvelables, les nouveaux fertilisants, l’Afrique, moins explorée et certainement moins exploitée , apparait comme le réservoir à prendre. L’Afrique n’a jamais été aussi convoitée et sollicitée comme depuis quelques années. Les nouveaux acteurs sont totalement différents des anciens qui étaient principalement les anciennes puissances coloniales. On note déjà une présence remarquée des grands investisseurs du Golf arabique, de Turquie, de Chine, de Russie, de Malaisie, d’Indonésie et du Brésil… entre autres. On peut dire des investisseurs du Grand Sud. Les pays du golf sont très présents en Afrique de l’Est et les engagements financiers sont très significatifs. Il faut noter aussi que les engagements des pays du Golf sont très orientés sur les infrastructures et l’agriculture.
L’expérience des hydrocarbures vécue par plusieurs pays dont certains d’Afrique doit être méditée pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs et les mêmes travers, comme confier l’exploitation à des compagnies étrangères qui exporteraient la production brute sans aucune valorisation au niveau national et sans réel contrôle sur elles par les Etats souverains. Cette richesse a, malheureusement, profité plus aux compagnies pétrolières qu’aux pays d’origine qui se sont contentés de recevoir des royalties. Le défi est donc, pour les africains, d’exploiter ces ressources et les valoriser au niveau national ou régional avant de les exporter vers d’autres pays. Les pays africains doivent se doter de moyens d’exploration, d’exploitation et de valorisation par des partenariats continentaux ou avec des acteurs extérieurs dans le cadre de contrats équilibrés, sauvegardant la souveraineté des pays sur leurs ressources et sur les fruits qui s’en dégagent. Aujourd’hui, l’Afrique ne dispose pas de ces moyens ou du moins pas tous les moyens nécessaires, tant financiers que techniques et humains. Ce déficit en moyens est encore plus prononcé lorsqu’il s’agit de pays relativement pauvres et de petite taille. La solution est donc dans la coopération intra-africaine. L’UA, instance politique doit se doter d’instruments financiers pour financer les investissements dans les secteurs stratégiques comme les infrastructures, l’énergie et bien entendu les mines. Il y a la BAD, l’Afreximbank qui ont des missions plus générales. La BAD est resté dans son schéma classique d’aide aux pays avec des taux de crédit bonifiés ; alors que l’Afreximbank s’oriente sur le financement du commerce extérieur. Un nouveau mécanisme serait tout indiqué, soit une Banque d’investissement, soit un établissement financier capable de mobiliser des fonds pour financer des opérations d’investissements ou prendre des participations dans ces investissements (un Fonds d’investissement).
ANOUAR EL ANDALOUSSI