Chronique Eco: Le service public, fondement de la cohésion nationale et de la justice sociale
Le service public a toujours existé et dans tous les pays du monde. C’est son volume et son étendue qui peuvent varier d’un pays à l’autre. Il est le produit d’une évolution historique, d’un contexte économique et social et même de la nature de la culture dominante dans la société (société solidaire ou libérale, collectiviste ou individualiste).
Une partie des services à la population est nécessairement organisée en service public quel que soit le système idéologique ou le régime politique : c’est le cas notamment des activités en réseaux, comme l’énergie ou l’eau, les infrastructures, l’éducation …Ces services sont nécessaires, voire indispensables, pour la vie en communauté. La majorité des activités de service public seront plus efficaces et plus efficientes si elles son organisées en monopoles, ce qui permet de faire des économies d’échelles. Ce sont des besoins collectifs et par conséquent, elles gagneraient à être organisées collectivement à travers l’intervention de l’Etat par ses instruments directs et indirects (collectivités locales, administrations, organismes publics, marchés publics, concessions, délégations…)
L’étendue et l’envergure du service public en Algérie ont leurs raisons et leurs justifications, les unes liées au contexte historique et les autres liées aux choix politiques à l’indépendance.
A l’indépendance, la population algérienne était dans un dénuement total : chômage, analphabétisme, sans couverture sanitaire, famine par endroit, etc. La population qui a pris sur elle la révolution tant dans la société que dans les maquis, avait placé tous ses espoirs dans l’indépendance. Par ailleurs, cette population avait vécu la période coloniale dans la souffrance matérielle et surtout dans une injustice inqualifiable de la part de l’administration coloniale et subi les humiliations des colons. Donc, l’attente pour cette justice sociale dans le cadre du nouvel Etat indépendant ne peut être que très forte. Le nouvel Etat ne pouvait améliorer, un tant soit peu, la situation que par l’érection d’un service public le plus étendu possible. Ceci est d’autant vrai que l’Etat avait pris aussi la décision de récupérer les richesses nationales et les quelques entreprises laissées par l’Etat français ou abandonnées par les colons. Donc, d’un côté les ressources ont été concentrées entre les mains de L’Etat et par conséquent il devient évident que les besoins de la population soient, dans une large mesure, satisfaits par cet Etat : éducation, santé, eau, énergie, sécurité, culture, transports, etc. Par ailleurs, la découverte et l’exploitation des ressources d’hydrocarbures ont été aussi un facteur d’extension du service public, car à travers le service public, il est opéré une redistribution de cette richesse à toute la population. Ainsi, la situation sociale de la population, le contexte politique et l’évolution de la situation économique ne laissent aucun doute sur la nécessité impérieuse d’organiser un service public étendu, quitte à rogner sur sa taille au fur et à mesure que le développement économique permet la redistribution des ressources par des revenus aux différentes catégories de la population ; la partie soustraite du champ du service public sera mise sur le marché des biens et services.
Dans beaucoup de pays le rétrécissement du service public a suivi cette logique consistant à mettre sur le marché libre les services susceptibles d’être pris en charge par l’usager. C’est le cas notamment, d’une partie des besoins médicaux, du transport aérien, d’une partie de l’éducation, des services de télécoms, des services postaux, etc. Il faut dire aussi que la réduction de l’envergure du service public est souvent dictée par des considérations budgétaires, mais parfois par des choix idéologiques ou politiques, c’est le cas de la politique libérale de Thatcher en GB et de Reagan aux USA dans les années 80. Un autre facteur a joué aussi dans la réduction de la taille du service public dans beaucoup de pays, ce sont les Programmes d’Ajustement Structurel imposés par le FMI/BM imposés à des pays en situation financière difficile, particulièrement leur endettement.
En Algérie, il n’y a jamais eu une réduction du périmètre du service public. Au contraire, il a parfois été encore étendu, c’est le cas notamment du logement. Aujourd’hui, le service public prend plusieurs formes allant de la fourniture directe d’une prestation (éducation, énergie, eau, transports urbains, …) à la subvention monétaire ou soutien des prix de certains produits en passant par la concession avec tarifs subventionnés de certaines infrastructures de service public.
Le service public est un facteur très efficace pour le renforcement de la cohésion sociale, de la solidarité nationale et un puissant outil de la formation à la citoyenneté. Défendre le service public et veiller à sa qualité doit être une préoccupation des gouvernants et des gouvernés. Mais continuer à maintenir un service public large sans se préoccuper de sa gestion, de son efficacité et de sa raison d’être, c’est participer à sa destruction et à sa lente disparition. Le service public doit être efficient et efficace pour assurer une plus grande couverture et doit être aussi juste, sinon, au nom de la justice (sa raison d’être) il risque de produire l’injustice ; combien de cas de service public qui sont transformés en services pour une catégorie de personnes au détriment de la masse qui est la cible du service public, il risque de devenir un facteur de fracture, s’il est injuste. L’égal accès au service public est la règle cardinale de ce dernier.
Sur ces aspects de l’efficacité du service public, beaucoup reste à faire. La gestion administrative routinière et bureaucratique a atteint ses limites. De nouvelles approches sont nécessaires si l’on veut faire du service public le facteur de cohésion et de justice sociale et même d’aménagement du territoire. Un service public coûteux et inefficace risque de se transformer en fardeau pour le budget de l’Etat et en objet de contestation dans la société et parmi ses principaux usagers.
ANOUAR EL ANDALOUSSI