Chronique Eco: Libre-échange et Protectionnisme : quel choix ?
Depuis quelques années, plus particulièrement depuis la crise du COVID19, les politiques comme les chercheurs et même les institutions internationales se mettent à une nouvelle terminologie, qui il y a encore peu de temps était bannie du lexique des relations internationales : la souveraineté.
On se rappelle encore que la mondialisation heureuse mettrait un trait sur tout ce qui est souveraineté, patriotisme, nationalisme ; le salut pour l’humanité, au plan économique du moins, ne peut venir que du libre échange qui doit entrainer la suppression des frontières commerciales. La mobilité des marchandises et des capitaux ne doit avoir aucune limite. Un grand économiste américain, dit de gauche, et prix Nobel d’économie (P. Krugman) a écrit un livre dont le titre est révélateur de cette fièvre de la mondialisation : « La mondialisation n’est pas coupable : vertus et limites du Libre Echange »(2000). Il considère que le libre échange favorise les économies d’échelle et donc améliore les rendements et l’efficacité de l’utilisation des ressources au profit de tout le monde. A partir de 2010, il change de position et propose un protectionnisme modéré avec un droit de douane de 25% pour tous les pays, sous l’argument de protéger les travailleurs non qualifiés dans les pays du Sud qui ont été affectés par le libéralisme. Là n’est pas notre propos. Aujourd’hui, le retour au protectionnisme est acté même par les pays les plus libéraux, comme les Etats Unis. Le souverainisme dans quelques secteurs dits stratégiques, comme l’alimentation, l’énergie, la santé et le numérique, s’est érigé comme doctrine économique dans l’élaboration des politiques publiques. Alors, qui croire les souverainistes protectionnistes ou les libres échangistes mondialistes ? Une certitude, aucun pays au monde ne peut vivre en autarcie, sauf peut être trois pays : les USA, la Russie et la Chine. Ces trois pays réunissent toutes les conditions pour s’organiser en autarcie et produire ce dont ils ont besoins sans importer aucun produit de l’extérieur. Ils ont les matières premières, la technologie, la taille critique de la population. Ce sont de grands pays qui ont la taille critique pour avoir plusieurs producteurs et produire de grands volumes et même faire des économies d’échelle.
On le sait maintenant, le libre échange et la mondialisation ont détruit beaucoup de petites économies ou au moins des secteurs ou des producteurs locaux par la massification de la production : tels sont les cas des paysans et les artisans d’Afrique et d’Asie. La mondialisation a favorisé la surexploitation des ressources naturelles et même des sols, encouragé le gaspillage et détruit les écosystèmes. La critique du libre-échange ne justifie en aucun cas un protectionnisme aveugle qui s’érige à son tour comme un dogme au nom d’un nationalisme ou un patriotisme débridé. Le protectionnisme sans condition peut s’apparenter à une forme de rente de situation accordée aux entreprises locales, particulièrement dans un marché où la demande est en croissance. Protéger des entreprises, c’est ne pas les inciter à la productivité, à l’innovation, à la qualité etc. le protectionnisme peut produire des effets très négatifs pour toute l’économie et pour les consommateurs.
On peut faire du protectionnisme une politique industrielle, mais sous des conditions très strictes : pour une courte période (1à 3 ans), assorti de résultats mesurables (dans le cadre d’un contrat), sinon une pénalité équivalente à la protection douanière, une amélioration de la productivité/compétitivité et de la qualité des produits, une innovation etc. La protection doit être ni générale (tous les produits), ni uniforme. Elle doit viser des filières (produits), des entreprises, des segments de la chaine de valeur dans une perspective de préparation à une compétitivité internationale. La concurrence internationale est le meilleur domaine pour mesurer la performance d’une économie. Protéger des canards boiteux n’apporte rien à l’économie nationale, peut ça rapporte beaucoup aux propriétaires de l’entreprise. Par contre protéger des entreprises dynamique, innovantes et ayant un projet sérieux est un bon pari sur l’avenir.
Libre-échange comme protectionnisme sont finalement des idéologies déployées ici et là à des fins précises. Elles sont interchangeables en fonction des évènements et des contextes, mais certainement au seul bénéfice de ceux qui ont la puissance pour gouverner le commerce mondiale. Alors choisir entre libre-échange et protectionnisme n’est pas la bonne question. Il faut savoir plutôt mettre le curseur au bon endroit entre ces deux extrêmes.
ANOUAR EL ANDALOUSSI