Chronique Eco: Quand le «Trumpisme » met l’économie mondiale dans le brouillard
Il serait incongru de dire que Trump est un malade ou manquant de raison ou encore faisant des intérêts de son pays un jeu de hasard. Il a des objectifs et une démarche. C’est cette dernière qui pose problème et non les objectifs. Tous les observateurs ont noté que l’économie américaine léguée par Biden était robuste et en plein essor : une croissance appréciable, un quasi plein emploi (taux de chômage inférieur à 5%), une inflation maitrisée et un développement technologique dans la R-D, l’IA et les autres High Tech en plain essor. Seuls points où l’économie américaine montre quelques signes de faiblesse : l’endettement et le déficit de la balance commerciale hors services (justement les services High Tech). Et c’est là où Trump a voulu frapper fort pour assurer une souveraineté et même une hégémonie américaine sur tous les segments de l’économie mondiale. Son objectif principal, réindustrialiser le pays et baisser les impôts pour les américains. Ces objectifs n’ont pas changé depuis son premier mandat. La crise Covid est passée par là et l’approvisionnement de l’économie et de la population américaine a connu des perturbations, particulièrement pour les produits manufacturés venant de Chine et d’Europe. Cette vulnérabilité de la première puissance économique mondiale n’est pas acceptée par Trump et beaucoup d’autres américains. La souveraineté et la domination ont toujours été au cœur des politiques américaines. L’émergence de nouveaux pays sur la scène du commerce mondial a beaucoup impacté cette souveraineté : Chine, Vietnam, Mexique, Brésil ….Ces pays ont une compétitivité économique sur plusieurs filières meilleures que les USA et c’est ce qui a amené les industriels américains a cédé des parts de marché. Entretemps, l’OMC, cet instrument mis en place par les Américains eux-mêmes, est passé pour lisser le commerce mondial en vertu des avantages du libre –échange et de la mondialisation heureuse.
Voyons maintenant de près quelques données sur l’économie américaine ayant justifié la décision et surtout la présentation théâtrale de Trump. A fin 2024, la dette américaine a atteint 36.000 Mds de $ ; Total des importations : 20.000 Mds de $ et le déficit commercial a grimpé à 920 Mds de $. Pour Trump le déficit commercial est inacceptable pour une économie comme celle de l’Amérique et il considère que les autres pays ont beaucoup profité de son ouverture et du faible taux de protection. Il est vrai que l’économie américaine avec ses volumes d’importation (20.000 Mds $) fait l’affaire de beaucoup d’économies. Les plus concernées sont certainement la Chine, L’UE, le Canada, le Mexique, le Japon et d’autres. Au plan des finances publiques, Trump fait la chasse au gaspillage en créant un Ministère de l’efficacité gouvernementale et nomme à sa tête un chef d’entreprise atypique (Elon Musk). Ce dernier prévoit 1000 Mds de $ d’économie sur les dépenses et une augmentation des revenus entre 1000 et 2000 Mds de $ en 2025 (grâce entre autres au revenu des droits de douanes imposés).
Tout ce dispositif, à la fois sur le commerce extérieur et sur le budget fédéral, vise la ré industrialisation du pays. En imposant des droits de douane, on protège la production domestique et, in fine, on incite les investisseurs à venir installer leurs usines en Amérique ; rien n’est moins sûr. Et si ca devrait encourager certains, dans combien de temps cela deviendra opérationnel ? En attentant, le citoyen américain (le sujet et l’objet du discours de Trump) doit continuer à consommer des produits importés devenus plus chers ; alors que les entreprises américaines vont subir la réciprocité des autres pays en termes de protection tarifaire (Chine, Canada, UE, …) ce qui diminuera leur compétitivité sur certains marchés et réduirait les exportations et ainsi de suite ; le déficit de la balance commerciale risque de se reproduire à l’identique, ou diminuer ou s’aggraver. Dans les relations commerciales, on n’est pas seul, l’autre partie a aussi sa stratégie. Il est difficile d’anticiper sur une trajectoire avec certitude, beaucoup de variables dépendent des autres partenaires et il est difficile de prévoir leurs comportements. A long terme on peut dessiner des tendances, pas à court terme. L’économie, c’est comme la mécanique (le principe du levier mécanique : action réaction) mais sans l’immédiateté de la réaction ni la proportionnalité de celle-ci.
La Chine a annoncé vouloir répondre aux taxes douanières décidées par Trump de 34% par une riposte de même ampleur dès le 10 avril. Une guerre commerciale entre les deux géants de l’économie mondiale ne laissera aucun pays à l’abri des soubresauts et des effets collatéraux. L’Europe, l’autre acteur majeur de l’économie mondiale, prépare sa réponde ; mais, la peur au ventre, elle cherchera à négocier.
Dans l’immédiat, seul le marché boursier, réputé très sensible et très affecté par la psychologie des investisseurs (peur, panique…), a réagit. Les bourses du monde entier ont dévissé ; des pertes en milliards de $ pour beaucoup d’entreprises et des épargnants sont déjà constatées.
Concernant l’Algérie, l’impact de ces décisions sera mineur. D’abord le volume des échanges est très modeste (2024) : les exportations vers les USA sont autour de 2.5Mds $ et les importations autour de 1 Mds $. Ainsi le déficit est de 1.5Mds de $. Trump considère que 1.5 Mds $ d’excédents pour l’Algérie est injuste et l’Algérie doit acheter des marchandises américaines si elle veut échapper à ces taxes douanières. Acheter plus aux USA (1 Milliard de $) pour placer les 2.5 Mds de $ en exportation vers les USA, constitués essentiellement d’hydrocarbures (85%) est la décision à laquelle on pense par paresse. La solution serait de trouver un acheteur de ces hydrocarbures et imposer les produits américains à 30% comme règle de réciprocité. Actuellement le marché du pétrole est saturé et il risque de le demeurer toute l’année 2025. Mais les nouvelles règles de protection imposées par Trump risquent de chambouler l’offre sur le marché du pétrole si certains pays d’Asie et d’Europe imposent au pétrole américain les règles de réciprocité. L’Europe refuse de taxer davantage le gaz américain, parce qu’une telle décision entrainerait une hausse des prix de l’énergie sur le marché domestique. Donc l’Europe va acheter massivement le gaz américain. Ceci n’est pas une bonne nouvelle pour le gaz algérien. C’est le moment de nouer de nouvelles alliances stratégiques globales et non limitées aux hydrocarbures. Ces derniers seraient une composante de ces alliances et un outil de négociation. Des alliances devant intégrer l’industrie, l’agriculture, les minerais, le numérique et l’IA sont les plus indiquées. Une offre algérienne dans ce sens serait bien accueillie par des pays asiatiques notamment. La violence appelle la violence même entre Etats.
ANOUAR EL ANDALOUSSI