15/05/2025
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Contribution* Numériser l’économie : une urgence absolue

Par Rachid Meksen (*)

L’idée de porter la réflexion et aussi le débat sur ce postulat découle de ce qui nous semblait être un manque d’intérêt relatif pour l’économie et les entreprises algériennes face aux défis et autres enjeux du numérique. En effet, si la dynamique de la transformation digitale est portée initialement voire essentiellement au profit de la  e-administration, il n’en demeure pas moins que le secteur productif doit réagir et s’investir dans ce défi majeur de notre siècle compte tenu des menaces environnementales  (au sens de l’impact de la mondialisation et non du climat seulement) qui nous entourent et des fragilités historiques qui  le caractérisent. En effet, le tissu économique demeure  encore faiblement structuré dans une partie l’espace géographique, fixé dans la seconde transformation manufacturière, faiblement capitalisé au sens financier et surtout présentant des lacunes dans la gouvernance prospective et innovante. Sa conversion  vers le digital constitue à nos yeux une solution à la fois pratique et salutaire pour sa survie d’abord, puis pour son accès assuré aux marchés qu’il est sensé dominer. C’est ce contexte qui a inspiré cette idée de texte en façonnant de la sorte son souci de pédagogie.

La numérisation, en tant que processus de transformation des informations et des processus en formats numériques, redéfinit les dynamiques sociales, économiques et politiques à l’échelle mondiale. Ce phénomène, porté par les avancées technologiques comme l’internet haut débit,  l’intelligence artificielle et les méga données, soulève des enjeux majeurs : accès équitable aux technologies, protection des données, transformation des emplois et souveraineté numérique.

 En Algérie, pays en transition économique et numérique, ces enjeux prennent une dimension particulière en raison de ses spécificités socio-économiques et historiques. Cet essai explore les défis et opportunités de la numérisation à l’échelle globale, avant d’analyser le cas algérien à travers ses politiques, ses avancées et ses obstacles.

Les enjeux globaux de la numérisation

 En premier lieu, la numérisation offre un  potentiel transformateur, mais renforce également les inégalités. Selon l’Union internationale des télécommunications (IUT basé à Genève), en 2023, environ 37 % de la population mondiale reste hors ligne, principalement dans les pays en développement. L’accès à l’internet et aux outils numériques dépend de facteurs comme l’infrastructure, le coût des services et le niveau d’éducation. Les populations rurales, les femmes et les groupes marginalisés sont souvent exclus, ce qui renforce la fracture numérique.

En second lieu,  la collecte massive de données par les entreprises et les gouvernements soulève des préoccupations éthiques et sécuritaires. Les bavures récentes ont rappelé les risques d’exploitation des données personnelles, les cyber attaques, visant infrastructures critiques ou données sensibles, sont légion. Les États et les organisations doivent investir dans des cadres juridiques fortifiés et des technologies de protection.

En troisième lieu, la numérisation automatise certaines tâches, mais crée également de nouveaux emplois dans les secteurs technologiques. Selon le Forum économique mondial, d’ici 2030, 85 millions d’emplois pourraient être remplacés par l’automatisation, tandis qu’une centaine de millions de nouveaux emplois pourraient émerger. Cette transition exige une requalification massive des agents, un défi pour les systèmes éducatifs et les politiques publiques.

En quatrième lieu,  la dépendance aux technologies étrangères, notamment américaines et chinoises, pose des questions de souveraineté. Les États cherchent à développer leurs propres infrastructures numériques pour réduire les risques de malveillance ou de contrôle externe. Cela inclut la création de centres de données locaux et le développement de logiciels nationaux.

L’Algérie :  Un pays en transition numérique ?

L’Algérie, avec une population jeune et un taux de pénétration d’internet de 67 % en 2023, connaît une accélération de sa numérisation. La jeunesse, représentant plus de 50 % de la population, est un moteur de cette transformation, adoptant massivement les réseaux sociaux et les plateformes numériques. Cependant, le pays fait face à quelques défis structurels persistants :

  • une économie dépendante des hydrocarbures et faiblement diversifiée alors que l’objectif de porter la part de l’activité « numérique » à 25% du PIB en 2025 est indiqué
  • un niveau de chômage rigide et tenace, le facteur démographique a pesé sur les  mesures favorisant  par ailleurs les investissements
  •  des disparités régionales marquées, l’étendue  du territoire et ses spécificités géographiques et économiques agissent défavorablement sur les processus de modernisation extensifs.

Les pouvoirs publics, au niveau central,  ont lancé plusieurs initiatives pour promouvoir la numérisation. Le plan e-Algérie, amorcé il y a une quinzaine d’années, visait déjà  à moderniser l’administration et à développer les infrastructures numériques. Des projets comme le déploiement de la 4G et l’introduction progressive de la 5G témoignent de ces efforts. Par ailleurs des investissements ont été entrepris dans la formation aux métiers du numérique, avec la création d’écoles comme l’École Nationale Supérieure d’Informatique (ESI) à Sidi Abdallah. Si ce vivier est correctement exploité et valorisé au travers de programmes innovants, sans nul doute que le rythme d’introduction de la numérisation dans l’économie sera largement profitable et palpable.

Malgré ces avancées et ces germes porteurs, des obstacles  freinent la  généralisation de la numérisation: (i) Infrastructures limitées  bien que la couverture 4G se soit étendue, les zones rurales et montagneuses souffrent d’un accès limité à l’internet ; (ii) Des pannes fréquentes une faible qualité de la connexion entravent l’expérience utilisateur ; (iii) un cadre juridique  embryonnaire en matière notamment de protection des données et de cyber sécurité. La loi 18-07 sur la protection des  données personnelles, bien que prometteuse, manque d’application stricte ; (iv) Dépendance technologique vu que la majorité de des équipements et logiciels viennent de l’étranger, ce qui limite toute  vigilance et souveraineté ; (v) nonobstant  les efforts de formation le déficit en compétences numériques reste manifeste, notamment dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la cyber sécurité.

La numérisation offre à l’Algérie des  opportunités  et des perspectives prometteuses. Le développement de l’économie numérique pourrait diversifier une économie captée par  les hydrocarbures. Les start-ups technologiques, comme Yassir ,TemTem, Oued Kniss, Yalidine et bien d’autres illustrent le potentiel entrepreneurial du pays. De plus, la numérisation de l’administration publique pourrait réduire la bureaucratie et améliorer la transparence, un enjeu crucial dans un contexte de demande accrue de gouvernance participative.

Dès lors, on peut suggérer une trame  à la réussite d’une stratégie pour une numérisation, ramassée autour de 4 idées majeures :

1 – Investir dans des infrastructures numériques fiables en tant que  priorité,  incluant l’extension de la couverture internet dans les zones rurales et la modernisation des réseaux existants. L’installation de la fibre optique devrait être accélérée pour concrétiser les projets pendants.

 2- La formation aux métiers du numérique doit être intensifiée par l’entremise de programmes ciblant les jeunes, les femmes et les populations rurales afin d’infléchir  la fracture numérique interne. Les liens avec des universités étrangères et des entreprises technologiques internationales seraient salutaires.

 3- En visant la souveraineté numérique le pays doit réduire sa dépendance aux technologies étrangères en développant ses propres solutions. La création de centres  locaux de données et le soutien aux start-ups technologiques nationales sont des étapes clés. Les exemples d’embargo technologique frappant la Chine qui a du développer ses logiciels propres sont encore vivaces.

4- Un cadre juridique clair et strictement observé  est essentiel pour protéger les données des citoyens et renforcer la cyber sécurité en s’inspirant  des modèles développés en Europe tout en les adaptant  au contexte local.

La numérisation reste  à la fois une opportunité et un défi pour le monde et pour nous. À l’échelle globale, elle redéfinit les dynamiques économiques et sociales mais, paradoxalement,  consolide  les inégalités et les risques sécuritaires. En Algérie, les efforts pour embrasser cette transformation sont louables, mais les obstacles structurels et institutionnels persistent. Pour réussir sa transition numérique, il faudrait  investir dans les infrastructures, former sa population et promouvoir sa souveraineté numérique. En relevant ces défis, le pays pourrait non seulement diversifier son économie, mais aussi renforcer sa position sur la scène régionale et internationale.

(*) Économiste, ancien Directeur général au ministère de l’industrie (*)

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