Grandeur et Décadence de la Planification: Vers un renouveau dans la démarche et les instruments.
Le développement économique et social des pays ne se faisait pas et ne se fait pas sans une organisation et une programmation des actions et de ressources entre les différents secteurs et les différentes régions du pays. Loin de l’idée d’une programmation impérative et bureaucratique à la soviétique des années du socialisme, la planification est d’essence libérale et fortement attachée à l’économie de marché. Ce dernier est la forme la plus élaboré et la plus efficace pour une allocation des ressources à court terme. A long terme, le marché devient myope, car ni les anticipations des acteurs, ni les structures de l’offre et de la demande ne sont fiables. Même à court terme, le marché connait des distorsions dans certains compartiments ayant des caractéristiques techniques, technologiques et structurelles empêchant la loi de l’offre et de la demande de fonctionner correctement. C’est le cas notamment des marchés de télécoms, de l’énergie, … des infrastructures de services en général et des structures oligopolistiques dans certains secteurs.
Dans les années 30, un grand débat sur la place du marché et du plan eut lieu entre deux courants théoriques au sein même du camp socialiste. D’un côté les dogmatiques, pour qui la négation du marché dans la construction du socialisme est une exigence non discutable. Le marché est propre à l’économie libérale, c’est une institution capitaliste et impérialiste au service de la bourgeoisie pour asservir la classe ouvrière ; de l’autre, les pragmatiques et les visionnaires qui voyaient en la planification administrative une négation des lois économiques et une gestion bureaucratique des affaires économiques avec toutes les inefficacités qui en découleraient en raison de l’incapacité de l’administration à se substituer aux lois du marché et surtout des comportements discrétionnaires des « bureaucrates » dans l’allocation des ressources. Les tenants de cette démarche (appelés à l’époque, l’école de Varsovie autour des professeurs de la prestigieuse école centrale de planification et de statistiques) préconisaient l’injonction d’une dose de marché dans le système d’économie planifiée : le court terme au marché et le long terme au plan. Ce n’est que 30ans plus tard, en 1968, que l’expérience de mixage plan/marché a été menée en Hongrie avec le système NME (Nouveau Mécanisme Economique) et ça été vue par Moscou comme une première véritable dissidence du système soviétique de planification.
Dans le monde occidental, la planification a toujours été une fonction centrale de l’Etat. Après la deuxième guerre mondiale, les USA comme les Etats européens se sont mis non pas à la planification mais à sa sophistication et à son institutionnalisation. On a vu, entre autres, la naissance du Commissariat Général au Plan en France, le puissant Bureau du Plan auprès du premier ministre néerlandais etc… Dans le monde anglo-saxon, les formes institutionnelles sont plus soft et plus discrètes. Au milieu des années 60, J.K. Galbraith résumait cette démarche planificatrice et prospective dans son livre : « Le nouvel Etat Industriel » (1967) ; il conçoit la planification comme le rapport entre l’Etat, la grande entreprise et le marché autour des questions de technologie, de capitaux, d’investissement et d’incertitude (risque). Les grands pays du Sud se dotent aussi de puissant organisme de planification, c’est le cas notamment de l’Inde et du Brésil. Au Japon, c’est le fameux MITI qui va jouer un rôle central dans la coordination de la politique économique et des stratégies industrielles.
A partir des années 80, la fonction a évolué dans sa consistance et ses démarches. On parle plutôt de Prospective. Il y a moins de formalisme, moins de prévisions, moins de directives, mais l’horizon est plus lointain, les démarches plus participatives et les méthodes plus heuristiques. Les scenarii remplacent les plans quantitatifs. Ainsi la prospective aide à planifier les investissements, les infrastructures, les programmes pluriannuels, la programmation budgétaire.
Aujourd’hui, tous les grands pays et les moins grands, sont dotés d’institutions de prospective et/ou de planification qui leur permettent de traiter les enjeux de toute nature et d’anticiper sur les problèmes qui peuvent en résulter. En somme les grandes questions économiques, sociales, environnementales et territoriales, voire géostratégiques ne peuvent être réduites à une délibération dans une instance de gestion courante, nécessairement de court terme, ni à un traitement immédiat, car nécessitant des moyens importants et une évolution lente des phénomènes.
Les problèmes de sécurité alimentaires, de sécurité énergétique, de l’eau, de transition écologique, de capital humain, des technologies, d’aménagement du territoire, de démographie…. sont traités sur des horizons de 30 à 40 ans au minimum. Pour emprunter à la terminologie médicale on dit : A long terme le marché est myope, à court terme le plan est presbyte. Corriger l’un et l’autre ou l’un par l’autre est ce qui est recherché, c’est-à-dire organiser la transition de l’un vers l’autre, du long terme vers le cours terme. Pour le développement économique, social et environnemental d’un pays on a besoin d’un marché concurrentiel pour guider les comportements des agents économiques et d’un plan prospectif pour fixer l’horizon et/ou la vision et allouer les ressources à des emplois dépassant la rationalité individuelle des agents économiques qui sont propres à un Etat inscrit dans la longue durée.
Anouar El Andaloussi