Chronique Eco: Les défis du prochain mandat présidentiel. (3)
3. L’Energie et l’Agriculture : des défis urgents
Pourquoi l’énergie et l’agriculture sont des défis majeurs pour le prochain mandat ?
Tous les secteurs d’activités méritent un traitement approprié car chacun aura une contribution au développement du pays. Nous nous limitons dans cette chronique à ces deux secteurs en raison de leur importance dans la création de la richesse (parts dans le PIB) mais surtout pour les enjeux qu’ils représentent tant au plan national qu’au plan international. Ce sont les deux secteurs les plus exposés aux enjeux géopolitiques et par conséquent leur importance dans la garantie d’une souveraineté nationale est cruciale. Autant pour l’énergie, l’Algérie dispose de ressources suffisantes pour être à l’abri pendant encore plusieurs décennies ; aussi, ces ressources sont le levier principal pour le financement du développement, d’où l’absolue nécessité de veiller à préserver ces ressources sur longue période, et à rationaliser leur consommation domestique pour dégager des excédents exportables. Pour l’agriculture, l’Algérie connait des déficits chroniques pour assurer les calories et la diversité des produits à la population. Ici aussi, le secteur de l’énergie vient au secours de l’agriculture pour financer les importations des produits alimentaires.
D’abord l’agriculture. Nul besoin de revenir sur l’importance de la production de l’alimentation au double plan des besoins nutritionnels et de la souveraineté vis-à-vis du marché mondial. L’alimentation des Algériens a toujours été un enjeu capital depuis l’indépendance ; cela peut paraitre paradoxal pour un pays aussi vaste et aussi bien doté par la nature. Alors le problème est plutôt dans la manière de rendre cette dotation naturelle, une source de production de biens agricoles. Les politiques agricoles, depuis l’indépendance, fournissent des exemples d’insuccès ou du moins ne garantissent pas des succès sur la longue période. Le statut du foncier agricole, la mauvaise protection des ressources naturelles, l’abandon des savoir-faire traditionnels, le faible investissement dans l’innovation et la formation agricoles, expliquent en partie la situation de notre agriculture. Toutes ces insuffisances ont conduit à un épuisement des ressources, particulièrement l’eau et à la dégradation des écosystèmes fragiles. Depuis plus de vingt ans, on a pensé avoir trouvé LA SOLUTION à ces problèmes dans l’agriculture saharienne.
L’agriculture saharienne, louangée pour ses rendements actuels, est très gourmande en eau, en énergie, en fertilisants et en argent, sans oublier les scandales qui l’ont accompagnée tel l’octroi de titres de concession aux copains plus qu’aux agriculteurs. Ces ressources ont manqué dans le nord du pays quand il s’est agi de lutter contre la jachère, de remembrer les exploitations, de mieux les équiper et surtout, comme ailleurs dans le monde, de mieux valoriser le travail agricole. Faute de moyens et surtout de réflexions approfondies, l’Etat a cru bien faire en continuant d’importer des produits alimentaires sans encourager efficacement les producteurs locaux. Le secteur agricole a connu tout de même des périodes de grands débats et de politiques volontaristes assez bien réfléchies qui ont donnée des résultats, mais vite abandonnées. L’agriculture saharienne a le mérite d’exister, particulièrement en ce moment, mais elle doit être soumise à une surveillance stricte en matière de dégradation du milieu, de consommation des ressources non renouvelables, particulièrement l’eau. Elle est nécessaire pour renforcer la quête d’une souveraineté alimentaire, mais elle ne doit pas évincer l’agriculture du nord en engloutissant tout l’argent disponible. L’agriculture au Nord c’est presque 50 millions d’hectares (superficie agricole totale), a encore des réserves de rendements qu’il faut exploiter et valoriser par des investissements et des techniques d’exploitation économisant l’eau. Les solutions techniques aux problèmes de rendements existent, elles sont coûteuses, mais certainement plus durables que celles de l’agriculture saharienne. Elle doit être le levier principal de notre sécurité alimentaire. L’agriculture algérienne est présente dans les plaines littorales, dans les zones de montagnes, dans les hauts plateaux, dans les zones steppiques et dans les zones sahariennes. Toutes les zones sont indispensables, aucune n’est l’alternative de l’autre. Chaque zone a ses spécificités et son apport dans la bataille de la sécurité alimentaire et doivent toutes être développées (diversification) en même temps pour ne pas tomber dans des situations qui peuvent résulter d’une crise liée à l’une ou à l’autre. Au plan organisationnel, on n’arrive pas à mettre en place le système de coopératives, pourtant il est devenu non seulement efficace mais surtout universel, largement pratiqué dans les pays développés comme dans les pays pauvres. Il ne s’agit, surtout pas, de coopératives créées par un arrêté ou un décret pris par l’administration, mais de coopératives créées par les agriculteurs et pour leurs besoins. En Algérie, la taille moyenne des exploitations est très petite, ce qui entrainerait des coûts des services insupportables et une mécanisation très coûteuse pour un usage limité. Par le modèle coopératif, on augmente les rendements par l’effet des économies d’échelle, par la réduction des coûts (partages des charges de structure sur plusieurs exploitations) et par un « remembrement technique » des exploitations.
L’agriculture est une activité très particulière, la politique agricole doit être l’affaire des agriculteurs et des techniciens du domaine (ingénieurs, vétérinaires, économistes et sociologues…) et non l’affaire des administratifs et des banquiers.
Ensuite l’énergie. Le secteur des hydrocarbures est en crise cyclique depuis 2006. Les efforts de recherche, de développement et de production n’ont suivi ni les besoins du marché intérieur ni les opportunités d’exportation. Ce n’est que fin 2014 que les autorités ont pris conscience de l’ampleur et de la profondeur de cette crise. Elles ont alors admis leur myopie qui les a conduites à l’amendement de la loi de 2006 qui a remplacée celle de 2005 qui avait le triple avantage d’apporter plus de financements, plus de technologies et plus de marchés dans le secteur. Le chemin inverse sera très rude à parcourir tant la scène énergétique mondiale s’est modifiée et tant l’environnement international se dégrade pour les producteurs depuis 2014. Il est urgent de mobiliser les experts pour accroitre l’attractivité du secteur algérien des hydrocarbures dans un monde en changement profond et pour trouver les solutions diverses à l’amélioration de la production et des débouchés. La loi de 2019 a remplacé celle de 2006 et a apporté les corrections nécessaires. Le désinvestissement entre 2006 et 2019 a été très préjudiciable pour l’investissement du secteur. Maintenant il s’agit de reconfigurer cette dernière loi par des politiques volontaristes et agressives en direction des investisseurs et des marchés. L’autre défi est celui de la valorisation des hydrocarbures bruts (pétrole et gaz). La Pétrochimie, vecteur de valorisation par excellence, demeure limitée, pourtant les marchés des matériaux et des matières premières à base de pétrochimie sont en forte croissance. Une simple comparaison avec des pays pétroliers comme l’Arabie saoudite ou l’Iran montre le chemin à suivre pour cette valorisation.
Par ailleurs, l’Algérie présente une anomalie qu’il faut corriger rapidement : le premier consommateur de l’énergie ce sont les ménages suivi par les transports, alors que l’industrie est loin derrière. Cela veut dire que les activités économiques sont sous développés et la consommation de l’énergie à prix réduits ne garantie pas un retour sur investissement. Sur l’indicateur « consommation d’énergie » les Algériens sont parmi les populations les mieux dotés tant en quantité qu’en prix. Cette anomalie « cachée » avec un comportement gaspilleur peut, à terme conduire à ne pas pouvoir dégager des excédents exportables. Les défis dans ce secteur sont énormes. D’abord, la question de la sécurité énergétique ne se pose pas de la même manière que pour un pays importateur d’énergie. Il s’agit pour nous de garantir cette sécurité énergétique sur le long et le très long terme. Pour cela, il faut agir à la fois sur la production et sur la consommation. L’action sur la production, les programmes d’investissement, tant sur l’exploration et la recherche et la production proprement dite, sont en cours.
L’action sur la consommation la situation mérite un examen sérieux, d’abord un examen de la structure de consommation par secteur ; la ré-industrialisation devrait faire augmenter la consommation de l’énergie pour une création de valeur, alors que la réduction de la croissance de la consommation des ménages, où la création de valeur est minime, permettrait une réaffectation à l’industrie et une augmentation des excédents exportables. Le déficit de production dans le gaz doit être comblé rapidement. Tout le monde le sait, dans le gaz les investissements sont très lourds et les délais de mise en exploitation sont relativement très longs. Le gaz a aussi cet avantage d’être une énergie peu polluante et constitue le facteur idéal pour une transition énergétique dans des conditions économiquement supportables.
En attendant la relance urgente de la recherche et de la production qui devra de toute évidence associer les bonnes entreprises étrangères, il faut préserver les surplus exportables et cela de toute urgence à travers une nouvelle politique des prix de l’énergie destinée au marché domestique.
Prochaine chronique « Protection sociale, emploi et fracture territoriale ».
ANOUAR EL ANDALOUSSI