L’IA entrouvre la porte des conseils d’administration
Un robot est depuis près de dix ans membre du conseil d’administration d’une société hongkongaise. Une situation qui interroge sur la place de l’IA au sein de cette instance de gouvernance.
Laurence Boisseau Vital est membre du conseil d’administration de DKV (Deep Knowleg de Venture), une société de capitalrisque située à Hong Kong, et ce depuis près de dix ans. Mais, pas une fois, il n’a siégé physiquement dans cette haute instance de gouvernance, contrairement à ses pairs. Problème d’assiduité ? Non. Vital est un robot, le premier de l’histoire à avoir été nommé administrateur. Son nom signifie Valida- ting investment tool for advancing life sciences.
En 2014, cette annonce de DKV a fait sensation et affolé les spécialistes de la gouvernance. Vital allait-il faire des émules ? Allait-il remplacer les administrateurs ? En mars 2022, l’un des leaders chinois du jeu vidéo, NetDragon Websoft, a indiqué avoir confié sa filiale, Fujian NetDragon Websoft, à une femme robot, Tang Yu. Mais en dehors de cette annonce, peu nombreuses sont les sociétés à s’être lancées, depuis, dans une telle expérimentation.
Contrainte de temps
La machine a-t-elle sa place dans un conseil d’administration ? D’un point de vue économique, pourquoi pas ? Le rôle d’un administrateur est notamment d’étudier des situations complexes, de prendre des décisions, de résoudre des problèmes et de développer des stratégies.
Machine à prédire, l’intelligence artificielle, capable d’assimiler et d’utiliser un grand nombre de paramètres, peut donc apporter sa contribution.
Elle peut aussi suppléer le conseil sur des questions pour lesquelles il ne dispose pas, parmi ses membres, des compétences pertinentes. Elle peut également apporter une réponse à la contrainte de temps à laquelle sont soumis les administrateurs. L’institut belge des administrateurs, Guberna, a pris le pouls d’une série d’administrateurs. « A la question “comment ChatGPT peut-il impacter les membres d’un conseil d’administration ?”, 45 % ont répondu qu’il peut les aider à préparer les réunions et 48 % qu’il peut même les aider à prendre des décisions », racontait le journal « L’Echo », en mars dernier. DKV affirme que Vital l’a littéralement sauvé de la faillite. Mais si d’un point de vue économique, le robot pourrait en théorie remplacer les administrateurs, le droit, lui, ne le permet pas en pratique. « Le droit hongkongais […] réserve les fonctions d’administrateur à des personnes physiques, rendant donc impossible à ce stade le remplacement de l’administrateur par la machine », explique Xavier Vamparys, doctorant à Telecom Paris, membre de l’Institut Polytechnique. Ce dernier a publié dans la revue Droit des sociétés, en juin dernier, un article de recherche intitulé « l’intelligence artificielle à l’assaut des conseils d’administration: vers une gouvernance algorithmique». Un simple outil d’aide à la décision Vital n’est donc qu’un simple outil d’aide à la décision, dont l’objet consiste à formuler des recommandations en matière d’investissement.
Le droit du Delaware, premier Etat américain par le nombre d’entreprises qui y sont immatriculées, exige qu’un administrateur soit une personne physique. Idem en Australie, en Grande-Bretagne et en Allemagne. « Dans les pays qui autorisent la présence d’une personne morale au conseil d’administration, cette possibilité est généralement assortie, comme en France, de l’obligation faite à cette personne morale d’être représentée au conseil par une personne physique », ajoute Xavier Vamparys. La proposition de règlement européen visant à encadrer l’usage et la commercialisation des intelligences artificielles considère ces systèmes comme de simples outils, dont les dysfonctionnements pourraient engager la responsabilité de leurs utilisateurs. L’intelligence artificielle ne peut être jugée responsable. Elle n’a pas de conscience, n’est pas capable de jugement et n’est pas dotée d’un patrimoine.
Les Echos