Chronique Eco: 2024, Les deux géants économiques en crise, quels impacts sur les autres économies ?
Dans une précédente chronique, nous avions évoqué la situation économique en Chine et l’inquiétante chute de sa croissance. Une chute brutale et continue du géant économique ne passe pas inaperçue, car toutes les économies ou presque en dépendent. En effet, la Chine était et elle le sera encore, mais avec moins de poids, l’atelier du Monde. Pays développés, comme pays émergents et pays sous-développés, tous font leurs « courses » en Chine. Le complexe industriel Chinois est unique et le monde n’a jamais connu un tel système productif équivalent dans sa taille et dans sa performance et surtout dans sa large et profonde gamme de produits allant du plus simple produit au plus complexe et avec de plus en plus de technologie sur des chaines de valeur très étendues. La crise immobilière, la croissance de l’épargne (les chinois consomment moins ou gagnent plus, ou font des économies pour se protéger, un problème de confiance dans l’économie ?), sans oublier le vieillissement de la population et la chute de la croissance démographique sont les autres ingrédients de la crise. Le complexe industriel Chinois et la chaine logistique qui lui rattachée sont pour le moment irremplaçables, ce qui rend leurs coûts plus élevés pour le reste du Monde. En Chine, malgré la crise de croissance, il n y a aucun risque sur la sphère monétaire et financière. L’Etat Chinois dispose de ressources financières considérables pour empêcher toute crise de cette nature. C’est à ce niveau que l’autre géant de l’économie, les USA, présente des failles.
En effet, dans ce début d’année, la FED vient de prendre une décision qui pourrait avoir un impact sur l’ensemble de l’économie mondiale. Elle a décidé une baisse des taux d’intérêt. A première vue, on serait tenter de comprendre que l’économie américaine a encore des ressorts solides pour la croissance et donc la baisse des taux d’intérêt va enclencher un processus d’investissement. L’économie américaine qui a, depuis longtemps, abandonné les industries de transformation (industries manufacturières) au profit d’autres pays moins développés d’Asie ou d’Europe comme la Chine d’ailleurs ou la Corée ou le Brésil, ou l’Italie, ou la Pologne…. Se réindustrialiser dans ce secteur dans le cadre de la recomposition/rapatriement des chaines de valeurs mondiales n’est pas la stratégie des USA tant qu’ils dominent le monde par leur technologie et l’avance dans des secteurs clés comme l’espace, l’énergie, le numérique, l’armement, les Télécoms, l’IA…. En réalité leur problème est, contrairement à la Chine, dans la sphère monétaire et financière. L’endettement public atteint des niveaux abyssaux ; et la puissance du dollar comme monnaie d’échange et de réserves dans le monde entier ne suffit plus pour faire supporter au Trésor américain son endettement. Est-ce un problème d’inflation ? Oui en partie. En effet, l’inflation est le problème de toutes les économies depuis 2022 et l’année 2024 sera encore affectée par ce phénomène, qui, associé à une baisse de croissance ou une récession conduirait à une grave crise économique et financière mondiale. Revenons à la dette publique américaine, la vraie raison de la baisse des taux d’intérêt. La théorie économique (Keynes en particulier), nous enseigne que lorsque l’économie ralentit, l’Etat doit intervenir par la dépense publique ; ceci est valable lorsque le taux d’endettement est encore raisonnable (il n y a pas de standards universels) par rapport à la capacité de l’économie à créer de la valeur, la dépense publique peut « dépanner » l’économie momentanément. Encore faut-il orienter cette dépense vers l’investissement plutôt que vers la consommation et les transferts de toute nature ; ce qui va nourrir l’inflation en période de récession (Argentine, Venezuela, certains pays de l’UE…) ; la Turquie pour d’autres raisons (surchauffe des taux de change liées à son commerce extérieur). Aux Etats Unis, les deux postes les plus importants dans la dépense publique sont les dépenses d’armement et les dépenses du service de la dette. Ces dernières viennent de passer en première position. Alors continuer à s’endetter pour financer le service de la dette ou pour financer l’armement pour soutenir les interventions à l’étranger (Ukraine et Israël en premières lignes) ou les deux à la fois. Dans tous les cas, les USA vont faire payer leurs déficits budgétaires ou une partie par une émission de dollars, mais ça ne suffit pas, surtout que beaucoup de pays utilisent d’autres monnaies (encore marginale). La manipulation du dollar va entrainer une propagation de l’inflation à travers le monde. Mettre côte à côte les deux premières économies du monde (chacune avec ses propres caractéristiques), va produire des effets négatifs sur les autres économies. Les atouts de l’économie chinoise (complexe industriel inédit et capacités financières immenses) associés à ceux de l’économie américaine (technologie, puissance militaire, dollar) donnerait certainement un autre visage à l’économie mondiale. Mais ceci est un autre sujet ; la géopolitique n’est pas faite de sentiments et de morale, elle est faite de domination, de violence et de destruction. L’Europe dans tout ça ? Pas grand-chose. Elle a besoin des USA pour sa sécurité et de la Chine pour son approvisionnement. Pour le premier, le remplaçant pourrait être la Russie ou la Turquie (plutôt les deux associés) ; pour le second, l’ « arrière pays », les pays du Sud. Mais les Européens sont encore sous tutelle pour prendre de telles décisions.
Attention, l’endettement public n’est jamais une solution miracle, plutôt mirage, pour le financement des déficits budgétaires, c’est une soupape de sécurité et sa taille doit être surveillée, non pas en terme de rapport Dette/PIB mais de sa destination : financer l’investissement oui, financement la consommation, c’est un risque. La performance (efficacité et efficience) de la dépense publique doit être l’indicateur principal dans la gestion budgétaire dans une économie comme la nôtre, encore vulnérable aux impacts extérieurs (prix des hydrocarbures, commerce extérieur, taux de change) ; car notre économie, peu diversifiée mais très ouverte et par les mauvais cotés : exportations de matières premières et importations de produits finis.
ANOUAR EL ANDALOUSSI