Banques en 2035: Pourront-elles relever les défis d’un monde fragmenté ?
Confiance des clients, montée en puissance de l’investissement ESG et fragmentation de l’ordre économique mondial sont autant de défis à relever pour les banques d’ici à 2035. Par Grégoire Ferreri, directeur des ventes chez SAS.
Par Grégoire Ferreri
Si d’aventure une personne doute de l’importance de l’intermédiation bancaire pour la santé de l’économie globale, il suffit de lui montrer la rapidité avec laquelle le régulateur bancaire américain a mis sous tutelle la Silicon Valley Bank puis la Signature Bank et comment le régulateur suisse a orchestré la fusion entre Credit Suisse et UBS. De manière globale, les banques et les risques auxquels elles sont confrontées sont bien trop importants pour être laissés sans supervision efficace.
Cependant, les banques sont confrontées à des dynamiques qui ont déjà bousculé leur modèle économique. Le vieillissement démographique, de même que le changement climatique produisent déjà leurs effets. D’autres événements comme l’épidémie Covid-19 et la guerre en Ukraine sont de tendance à dénaturer les marchés. La concurrence des fintechs, voire des « big techs », peut remettre en cause les modèles d’exploitation. Enfin, la rivalité entre la Chine et les États-Unis risque de conduire à une fragmentation d’un ordre économique mondial placé sous l’égide de l’OMC depuis 1995.
Le FMI s’est quant à lui récemment inquiété d’une possible fragmentation de l’économie mondiale qui entraînerait une baisse des capacités de financement des États et des banques.
De l’importance de la confiance des clients
Fort de ces éléments, il est possible de tracer trois scénarios possibles pour le secteur bancaire sur les douze prochaines années. La banque de 2035 sera forcément différente, mais elle continuera de s’appuyer sur les traits qui ont fondé son succès.
Le premier est sans nul doute la confiance de ses clients, qui devrait être renforcée avec la mise en œuvre de l’Open Banking. En 2035, les banques répondront à des obligations d’informations claires et applicables, permettant aux clients de mieux contrôler leur argent et leurs données. Ces derniers pourront non seulement prendre des décisions averties concernant leurs finances, mais aussi décider de la manière dont leurs données personnelles sont partagées et utilisées. Le public se méfiera encore des activités non réglementées qui ont fait l’objet de multiples scandales financiers, auxquels il faut ajouter les dommages réputationnels liés à la crise de 2008. D’ici à 2035, banques, gouvernements et prestataires technologiques sont appelés à devenir les piliers d’une confiance renouvelée.
Au niveau opérationnel, cette évolution passe par une mise à niveau rapide de systèmes informatiques qui tendent à devenir obsolètes. La technologie existe aujourd’hui pour les transformer de manière sûre, ainsi que pour créer de nouveaux services grâce aux données devenues plus accessibles.
Une montée en puissance de l’investissement sur les critères ESG
Sur plusieurs industries clés – infrastructures, transports et énergie -, le principe d’une décarbonation des activités est enclenché. De grandes zones urbaines du monde entier ont été repensées en tenant compte de l’efficacité énergétique et de la résilience climatique. D’anciennes structures sont rénovées pour maximiser les économies d’énergie ; des normes plus strictes ont été mises en place pour les nouveaux bâtiments. Le télétravail, largement adopté pendant la pandémie, participe à cet effort de décarbonation.
Parallèlement, le thème de l’investissement sur les critères ESG a pris de l’ampleur. Quant aux investisseurs institutionnels, ils se sont rapidement détourné des industries à forte intensité de carbone. Un grand pas en avant a été franchi avec l’obligation pour les entreprises de rendre compte de leurs activités sous le prisme de l’ESG. Aux États-Unis, en Europe et en Asie, les régulateurs ont établi une norme commune pour les rapports après des campagnes soutenues menées par les investisseurs. D’où la disponibilité de données ESG de qualité et comparables pour mieux comprendre la gestion des risques liés au changement climatique par les entreprises.
En 2035, la transition vers une économie bas-carbone aura également été accélérée par l’introduction d’une taxe carbone par les principaux pollueurs de la planète. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’UE entré en vigueur, les entreprises européennes et étrangères devront payer une taxe carbone lorsqu’elles vendront des biens et des services sur le marché de l’UE. En réponse au MACF, la Chine, l’Inde et les États-Unis fixeront collectivement un prix du carbone.
L’abandon des combustibles fossiles par les marchés mondiaux au profit de la résilience climatique représente une opportunité de transformation sans précédent pour le capitalisme. En tant que pilier du système économique, les banques pourraient être à l’avant-garde du changement.
La difficulté d’opérer dans un monde fragmenté
En 2035, la période de mondialisation qui a progressivement intégré les marchés du monde entier après la guerre froide risque de s’achever. Si l’ordre économique libéral disparaît, il peut être remplacé par un paysage géopolitique profondément multipolaire et fragmenté.
Autrefois principal forum pour les négociations et les différends commerciaux, l’OMC laisserait place aux accords commerciaux bilatéraux et régionaux. L’hégémonie des États-Unis sur le système financier mondial devrait être remise en cause par les systèmes de paiement alternatifs de leurs rivaux et la montée en puissance des monnaies numériques. Ainsi, le système de paiement interbancaire SWIFT ne devrait plus détenir le monopole des transactions financières. Une coalition d’économies en développement – dirigée par les BRICS – a créé un système alternatif aujourd’hui largement intégré dans l’économie mondiale. Le yuan chinois est désormais la troisième réserve de devises, après le dollar américain et l’euro.
Dans un système financier fragmenté, il sera difficile pour les banques de réaliser des économies d’échelle. Incertitude liée aux guerres commerciales et instabilité politique peuvent augmenter le coût de l’intermédiation financière. En revanche, l’utilisation de la technologie doit aboutir à une simplification et automatisation des produits, des services et des processus sous-jacents pour proposer des offres plus compétitives. Le futur est incertain, mais les opportunités n’auront pas disparu pour autant. Ainsi, l’évolution des flux commerciaux en Afrique et en Asie offre déjà aux banques de nouveaux débouchés, notamment dans le financement de projets de développement locaux et d’infrastructures. Dont acte.
Source : La Tribune.fr