21/01/2025
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Chronique Eco: « La loi de finances : Quels arbitrages et pour quels objectifs ? »

Chaque année et à la même période, entre septembre et novembre, un débat s’installe dans les institutions du pays mais aussi dans la rue et dans le espaces publics. Les algériens découvrent, à cette occasion, les vertus de la culture économique et financière et se donnent  à fond dans la discussion. Souvent, la discussion ne porte que sur les aspects liés au coût de la vie, au pouvoir d’achat, aux augmentations des salaires, au soutien des prix, accessoirement aux dispositions fiscales et parafiscales. Cela montre que tout ce qui est lié à l’investissement à long terme, aux projets structurant, aux infrastructures de toute nature n’a pas beaucoup d’intérêt pour les algériens ; et pourtant, au moment des inaugurations de ces infrastructures, la joie se lit sur les visages, celui qui voit sa connexion internet améliorée par la Fibre Optique, celui qui constate son branchement aux réseaux énergétiques et celui qui emprunte pour la première fois un chemin communal, une route nationale ou un tronçon d’autoroute ou de chemin de fer. Ces infrastructures ont été programmées, étudiées, budgétisées dix ans ou plus en arrière. Aussi, nous n’accordons pas un intérêt aux sources de financement de nos dépenses.

Les ressources nous semblent tomber du ciel et surtout elles sont supposées illimitées. C’est l’affaire de l’Etat, il doit trouver les moyens de financement. On oublie que le peuple est une composante de l’Etat ; ceci est un autre débat. Par contre, cet Etat, ici en Algérie ou ailleurs, est souvent incapable d’expliquer une loi de finances, la politique d’allocation des ressources, les arbitrages intersectoriels, les priorités et les enjeux sur l’avenir. Le débat dans les instances parlementaires est souvent réduit à un discours populiste du côté des élus et à un exercice comptable du côté du gouvernement et de ses représentants administratifs. Nous manquons de pédagogie de part et d’autre ; c’est pourquoi on a recours, non pas à un débat contradictoire mais à des polémiques et parfois à l’agressivité verbale.  Les termes du débat budgétaire sont posés dans une équation insoluble : plus de dépenses, moins de fiscalité. Ce qui revient à dire que le bon citoyen est celui qui ne paie pas d’impôt mais qui profite le plus des budgets publics. Ceci pourrait être valable si les recettes hors fiscalité ordinaire sont suffisantes pour couvrir l’ensemble des dépenses. 

Notre loi de finances et surtout notre budget, dans ces différents volets (fonctionnement, investissement, soutiens, salaires…), sont des plus généreux et des plus équitables et égalitaires y compris parmi les pays rentiers comme l’Algérie (dont la rente est relativement modeste comparée à d’autres pays mieux dotés en ressources minières).  Un budget de 16.900 Mds de DA, réparti sur les différentes dépenses par nature et par programmes. Les recettes fiscales totales (fiscalité pétrolière et fiscalité ordinaire) s’élèvent à 8.500 Mds de DA, soit, à peu près de la moitié des dépenses budgétisées. Le financement du déficit budgétaire devient un sérieux problème, c’est pourquoi, il est urgent de mettre un terme progressivement à cette situation de déficits chroniques. La solution est toute indiquée : rationaliser la dépense par un meilleur usage et une plus grande efficience, élargir l’assiette fiscale par la croissance et par la lutte contre l’évasion fiscale et les niches fiscales inopportunes.

Plus de 5.000 Mds de DA sont alloués aux salaires et traitements des fonctionnaires et agents de l’Etat, alors que l’investissement ne reçoit que 3.000  Mds de DA. Ces deux affectations nous interpellent quant à leurs pertinences respectives.

Que les salaires et traitements des fonctionnaires des administrations et autres établissements publics représentent près du tiers du budget de l’Etat n’a rien d’anormal si le service public est à la hauteur des attentes de notre nation en termes de qualité de l’éducation, de la santé, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de l’efficacité de notre administration et de sa performance etc. Il y a donc un réel souci pour améliorer la productivité et la performance du service public.  

Plus inquiétant est la part qui revient à l’investissement, à peine un cinquième du Budget total. Le budget d’équipement est un pari sur l’avenir, une réponse aux enjeux futurs et une anticipation sur les besoins à venir. Là aussi il y a lieu de s’interroger sur cette minoration de l’avenir par rapport au présent et à l’immédiat. L’arbitrage temporel (long terme/court terme) mérite une analyse et un intérêt plus prononcés.  

La culture court-termiste, assimilée à un égoïsme et à une peur de l’avenir, n’est pas de nature à favoriser le développement économique. Les pays qui se développent le plus et le mieux sont les pays où la culture dominante est celle du long terme ; la culture qui favorise l’engagement à l’horizon et qui permet de se projeter dans l’avenir avec sérénité et qui privilégie les perspectives prometteuses sur un présent consumériste.

Les cultures long-termistes favorisent l’investissement et l’épargne, alors que les cultures court-termistes privilégient la consommation. Comment passer d’une culture court-termiste à une culture long-termiste ? Il n’est pas aisé de changer les comportements et les attitudes vis-à-vis du futur ainsi que la posture envers le risque et l’incertitude. Toutefois, il est possible d’inverser les tendances comportementales en fixant des horizons, en sécurisant les investissements, en donnant des perspectives positives sur l’avenir ; ceci relève des missions de l’Etat et de ses institutions. Alors, c’est à l’Etat de donner l’exemple en s’engageant sur le long terme, en privilégiant l’investissement, en offrant des horizons porteurs et en aidant, par des études prospectives et des éclairages sur les opportunités et les risques du futur,  les ménages, les entreprises et de façon générale tous les acteurs de la société. Mieux doter le budget d’investissement est un exemple d’éducation de la société à la culture du long terme. Avec une planification à moyen et long terme, la loi de finances devient simplement un instrument de mise en œuvre d’une perspective de long terme. Les enjeux budgétaires sont devenus réels et leur traitement devient une priorité pour l’action de l’Etat ; de vrais défis sur cette question sont nécessaires.

ANOUAR EL ANDALOUSSI

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