07/06/2025
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Chronique ECO: « L’Afrique mal partie » peut reprendre la main sur sa souveraineté alimentaire

Nous assistons depuis quelques années à un renouveau du débat sur les souverainetés dans beaucoup de domaines ; cette évolution a été dynamisée par la crise sanitaire du COVID19 qui a incité à reconsidérer plusieurs approches en matière de libre-échange. Face à une rareté inattendue de produits sanitaires et de vaccins, les pays se sont mis à chercher des solutions internes et même à interdire l’exportation de certains produits vers l’étranger. Des stratégies industrielles sont mises en place pour relocaliser des investissements sur les territoires des pays à forts IDE. Cette situation a été exacerbée aussi par la guerre russo-ukrainienne et l’agression israélienne sur Gaza. La sécurité alimentaire, thème très usités ces dernières années, a été placée en tête des priorités des pays développés, elle a rejoint, ou même surclassé la sécurité énergétique qui occupait le haut du pavé depuis plus de 30 ans. La notion de sécurités est jugée insuffisante et on parle maintenant de « Souverainetés ».

L’Afrique est au centre de ces débats pour plusieurs raisons : d’abord, sa situation économique et financière la met dans une situation de vulnérabilité chronique ; ensuite, sa croissance démographique exige de plus en plus de produits alimentaires pour nourrir sa population ; mais surtout son potentiel naturel immense très convoité par les autres continents. L’Afrique doit se prendre en charge pour ne pas subir les aléas climatiques et les conflits armés qui impactent sérieusement ses modestes moyens. L’Afrique peut s’en sortir, particulièrement dans le domaine de l’alimentation, si l’on considère ses ressources en sol, en eau et en main d’œuvre jeune et formée. Seulement les solutions ne peuvent être trouvées dans chaque pays, mais collectivement dans le continent ou au moins par régions.

C’est dans cette perspective qu’une Conférence Panafricaine sera organisée les 20 et 21 à Alger sur le thème de la souveraineté alimentaire, par le GRFI (Groupe de Réflexion Filaha Inno, un Think Tank sur les questions agricoles et agroalimentaires). Plus de 10 pays y seront représentés ainsi que des organisations multilatérales comme la FAO, l’UA, le CIHEAM, des instituts de recherche algériens et méditerranéens. Cette conférence sera organisée en marge du Salon de l’Agriculture SIPSA.

Pourquoi c’est important de débattre de cette question aujourd’hui ? Une première réponse nous vient d’une écrivaine (Ch.  Ngozi Adichie) dans des termes forts : « Cela tient à l’histoire de notre continent et à la manière dont elle est racontée. Certains, y compris parmi nous, s’imaginent que les Africains ne font pas vraiment partie du monde. Tout se passe comme si, lors d’un banquet, nous nous installions non pas autour de la table avec les autres, mais plutôt dans un coin, en suivant des règles différentes. […] Les Africains n’habitent pas le monde différemment des autres. » L’Afrique doit d’abord faire la reconquête de sa pleine souveraineté politique pour être un acteur du monde comme tous les autres Etats et peuples ; ensuite cesser d’être soumis à des tuteurs lointains, héritage lourd de la colonisation.

La deuxième réponse s’impose par elle-même : Le capital naturel de l’Afrique constitue déjà le fondement des moyens de subsistance d’une majorité de la population du continent. Il est essentiel de veiller à ce que les ressources soient gérées de manière durable et à ce que les services éco systémiques importants soient maintenus. Ce capital naturel de l’Afrique a été estimé à 6 200 milliards de dollars américains en 2018. La valeur réelle du capital naturel de l’Afrique pourrait être beaucoup plus élevée si l’on disposait de données fiables sur les découvertes récentes de minéraux et d’autres ressources extractives. Dans ce capital naturel, il y a naturellement les minéraux, les sols, l’eau douce, les forêts, les écosystèmes, etc…

Alors l’Afrique peut-elle avoir sa sécurité alimentaire, sa souveraineté alimentaire et pourquoi  pas son autosuffisance alimentaire ? En théorie, oui. Mais dans la réalité, non et  elle n’est pas près d’y parvenir. L’inadéquation peut être résumée ainsi : « l’Afrique représente près de 16 % de la population mondiale, dispose de 24 % des terres arables sur la planète, voire d’environ 60 % des terres cultivables pas encore mises en exploitation, mais ne génère que 9 % des produits agricoles. Ce sont là les chiffres pour 2019 quand, faute de pouvoir se nourrir elle-même, l’Afrique importait des vivres pour 35 milliards de dollars dont 11 milliards rien que pour du riz ». À moins d’une révolution verte dans les cinq années à venir, compte tenu de la croissance continue de la population africaine, la facture alimentaire devrait s’élever à 110 milliards de dollars en 2025. Autant de fonds qui seront indisponibles pour améliorer l’éducation ou la santé, investir dans les infrastructures ou importer des machines-outils pour créer des emplois rémunérateurs.

Alors le débat sur la souveraineté alimentaire devient opportun et même indispensable tant les enjeux sur cette question sont énormes et les défis pour les africains immenses. Le débat sera animé par d’éminents experts, haut fonctionnaires, chercheurs et des représentants de la société civile africaine ; quatre panels y seront dédiés durant toute la journée du 21 mai 2024.

ANOUAR EL ANDALOUSSI

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