27/03/2025
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Chronique Eco: L’IA, une nouvelle guerre sur fond de souveraineté

Au cours de cette semaine il s’est tenu à Paris le Sommet mondial de l’Action sur ’intelligence artificielle. Ce sommet a réuni plusieurs chefs d’Etat et de Gouvernement, des scientifiques, des bailleurs de fonds et de grandes entreprises opérant dans le domaine de la Data comme les GAFAM. Le sommet vise à débattre des questions de développement de l’IA au service de l’économie et de la société, à organiser la coopération et surtout à mettre en place des garde-fous pour faire face aux dérives possibles de l’IA et leurs conséquences sur les plans sécuritaire, environnemental et sociétal. Le plus important est de définir une charte de “règlement sur la diffusion de l’IA”.

Biden a proposé un projet censé régir les pays ayant accès à la technologie américaine dont l’arrière-pensée est de forcer les autres pays à intégrer l’écosystème américain de l’IA. Dans les faits, trois acteurs s’affrontent sur le champ de l’IA, d’un côté les USA, de l’autre la Chine ; l’Europe a pris un retard dans ce domaine et joue l’arbitre en attendant de définir sa stratégie.

La France annonce 109 Mds de $ pour construire son Data Center Géant grâce à des financements des Emirats Arabes (40 à 50 Mds de $) et le Canada (10 à 20 Mds de $). Pendant ce temps, Amazone annonce 100 Mds d’investissement pour 2025. L’UE mobilise 200 Mds pour l’IA, alors que les USA ont annoncé en janvier 2025 un montant de 500 Mds de $.

L’Intelligence artificielle, plus qu’une technologie ou un outil, c’est un nouveau projet de vie. Ce qu’elle va induire comme transformation est capital. L’IA est une avancée technologique du même ordre que la révolution industrielle et Internet. De plus la révolution industrielle a pris beaucoup de temps avant de produire ses effets, l’IA s’est imposée de manière très rapide et sa diffusion sera aussi très rapide et global. Les impacts en seront certainement aussi rapide et décisifs.

Le numérique n’est pas la numérisation ; cette dernière n’est qu’un processus technique consistant à numériser les données et les organiser. Elle est nécessaire, mais pas suffisante pour entrer dans le numérique et encore moins dans le monde de l’IA. L’économie numérique va au-delà des aspects de fourniture de services administratifs à distance. Elle implique tous les secteurs, toutes les relations, tous les activités, toutes les transactions, et des équipements, système et logiciels nécessaires. L’économie numérique est une affaire de Data. L’IA générative fonctionne sur les données stockées qui serviront de base de calcul pour déterminer les évolutions, les tendances et les corrélations entre des milliers ou millions de phénomènes, d’où l’importance des supercalculateurs.

Dans une précédente chronique, nous avions évoqué le caractère énergivore de l’IA. Ses besoins en énergie se chiffrent en millions de gigawatts et cet aspect va encore aggraver les problèmes des sources d’énergies qu’il faut exploiter sans aggraver les problèmes d’environnement. L’IA est en entrain de réhabiliter, voire légitimer ou justifier, l’exploitation des énergies non conventionnelles comme le nucléaire ou celles polluantes comme le charbon.

Beaucoup de pays ont élaboré des stratégies nationales pour l’IA ; l’objectif est d’anticiper sur les impacts de cette révolution technologique dont les impacts positifs sont énormes sur l’économie, la santé, l’éducation, la défense etc. il y aussi des impacts négatifs sur la vie des personnes en général. L’IA générative remodèle l’économie mondiale, reconfigure les relations sociales, transforme ou viole les règles juridiques et surtout risque de porter atteinte à la démocratie, aux règles éthiques et morales et probablement les codes génétiques et génomiques. Déjà avec les premiers systèmes ChatGPT (USA) et DeepSeek (Chine) les transformations commencent à apparaitre dans le domaine économique et social (production, santé, éducation, information, sécurité…).

Les impacts économiques et militaires de l’IA sont les plus étudiés aujourd’hui, alors que les impacts sociologiques, éthiques, juridiques sont de loin les plus importants pour la vie des gens.

La guerre a commencé entre les deux Géants de l’IA. Américains et Chinois s’affrontent avec des outils performants grâce à des technologies de pointe et avec des moyens financiers colossaux. La guerre est lancée même si elle est pour le moment silencieuse. Elle est certainement plus cruelle que la guerre commerciale, car il s’agit du contrôle de l’avenir.

La suprématie dans ce domaine sera décisive sur une longue période. Le retard de l’Europe est difficilement rattrapable, car l’IA est une chaine de valeur reliée à un écosystème très complexe construit autour des Supercalculateurs, des systèmes d’Energie et des systèmes de Télécommunication. Contrôler toute la chaine de valeur est le principal enjeu aujourd’hui ;car par ce contrôle, on construit une suprématie. Les Européens sont justement dans cette dépendance aux américains car ces derniers, par leurs géants du numérique (GAFAM) contrôle les CV et organise l’écosystème. Seuls les Chinois échappent quelque peu à cette subordination.

Si les États-Unis partent du principe que leur technologie est la seule option pour des pays comme l’Inde ou l’Indonésie, elle risque de précher par excès de confiance. C’est possible. Mais il serait dangereux de considérer cette avance comme acquise (The Economist 01/25) L’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis, accompagnée d’annonces fracassantes et soutenu par des dirigeants des géants américains de la Tech qui l’ont rallié, n’est pas de bon augure pour l’avenir de cette révolution et ses impacts sur les plus faibles.

La réglementation et la codification périodique des usages doit être une priorité. Une réglementation contraignant les éditeurs à une évaluation continue de leurs outils sera nécessaire, car les problèmes évoluent constamment et on ne peut pas se contenter d’un audit à un moment donné.

À la veille du sommet d’action sur l’intelligence artificielle (IA), Amnesty internationale alerte à son tour. L’ONG demande au gouvernement français de saisir cette occasion cruciale de progresser de manière significative vers une réglementation mondiale de l’intelligence artificielle respectueuse des droits humains. Amnesty demande aussi que les individus et les groupes touchés par l’IA, puissent pouvoir former des recours et obtenir des réparations.

Beaucoup d’espoirs reposent sur l’AI Act, qui constitue le premier cadre réglementaire au monde portant sur l’intelligence artificielle – et donc à ce titre la réglementation la plus ambitieuse jusqu’à présent dans ce domaine. Mais malgré son entrée en application progressive jusqu’en 2027, elle reste encore fragile, tant elle est contestée. Trump et son ministre Musk veulent aller à une dérégulation totale des systèmes de télécommunication.

Pour le moment, seuls les chinois tiennent tête aux américains. Si ces derniers ont une avance sur la technologie proprement dite, les chinois sont plus performants sur le coût de production des LLM. QwQ, propriété d’Alibaba, géant du commerce électronique, a été lancé en novembre et a moins de trois mois de retard sur les meilleurs modèles américains.

La Chine en route vers le leadership mondial « Si la Chine reste au plus près de la frontière technologique, elle pourrait être la première à faire le saut vers la superintelligence ».

Dans ce cas, elle serait à même d’en retirer plus qu’un simple avantage militaire. Dans un scénario de super intelligence, la dynamique du “winner-takes-all” pourrait soudainement dominer à nouveau. Même si l’industrie reste sur la voie actuelle, l’adoption généralisée de l’IA chinoise dans le monde risque de conférer au PCC une énorme influence politique, au moins aussi inquiétante que la menace de propagande que constitue TikTok, l’application de partage de vidéos appartenant à des Chinois, dont l’avenir en Amérique reste incertain. »

(Le Nouvel Economiste 7 février 2025).

 Poutine disait : « celui qui dominera l’IA, dominera le Monde.

Le sommet de Paris pour l’action sur l’IA s’est terminé par une grande divergence entre les pays participants (plus de 60 pays) et les USA soutenus par la grande Bretagne au sujet des normes et de la règlementation de l’IA dans ses différents usages. Pour les USA, la règlementation risque de freiner l’innovation. L’alliance France-Inde (pays organisateur et pays d’accueil du prochain sommet) n’a pas pu imposer une gouvernance mondiale de l’IA autour du Slogan « Une IA, Ouverte, Inclusive et Ethique ».

L’IA remet en cause beaucoup de règles et de systèmes liés à la souveraineté des pays. Beaucoup d’encre a coulé sur cette de notion de souveraineté des Etas au cours du 20ème siècle ; ni les juristes ni les politistes n’ont pu définir les évolutions de la notion faute de critères pertinents permettant de mesurer les évolutions des phénomènes et les nécessités de changement sans remettre en cause l’équilibre fragile des relations internationales ; l’IA est venue pour transformer les fondements même des Etats et par voie de conséquence les relations entre eux. Aux juristes et politistes d’essayer de codifier ces transformation pour sauver un tant soit peu un ordre mondial « acceptable ». Le bien-être attendu de l’IA est porteur de risque tant au plan global qu’au plan personnel et sociétal.

ANOUAR EL ANDALOUSSI

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