Chronique Eco: Sortir des sentiers battus
La guerre Israël-Iran sous la supervision des USA prend fin ; certains diront sans vainqueurs, d’autres affirmeront le contraire pour désigner Israël et d’autres aussi attribuent la victoire à l’Iran. Cette question de vainqueur ne sera pas tranchée de sitôt. Maintenant que le cessez-le-feu est accepté et proclamé par les deux parties sous la menace américaine, il devient inutile de pérorer sur son issue et surtout sur ses conséquences. Elle a produit, sans doute, des impacts au triple plan : économique, politique et géographique. Les palestiniens continuent leur combat, de plus en plus solitaires, et avec de moins en moins d’espoirs d’une solidarité qui viendraient des sphères de leur double appartenance : la nation arabe et la communauté des musulmans.
La chronique de ce jeudi aborde des sujets moins polémiques et certainement plus utiles pour le débat national. Au cours de cette semaine, deux évènements ont eu lieu sur des sujets importants, pourtant très distincts. Le premier, dont le mérite revient à une jeune équipe de recherche de l’EPAU (Ecole Polytechnique d’Architecture et d’Urbanisme), a introduit un débat fructueux sur une problématique originale : « Nourrir la Ville ……». Le second, impulsé et organisé par une association « Club Energy » dont la vocation est très loin du thème abordé : « Le rôle des sciences sociales dans le développement économique et social ». Votre serviteur était présent aux deux évènements avec des contributions.
Ce qui attire l’attention, avant tout, c’est l’ouverture des institutions (l’une universitaire et l’autre privée-associative) sur des sujet qui ne sont pas forcément dans leur périmètres d’activités. Ainsi, les architectes s’intéressent à l’alimentation et à l’agriculture et les « énergéticiens » aux sciences sociales et leur place dans l’économie et la société ; on ne peut espérer meilleure ouverture pour le débat national sur le développement dont les enjeux, comme les défis ne sont ni spécifiques ni sectoriels.
Le séminaire des « Architectes-urbanistes » a regroupé des Architectes, des Urbanistes, des Géographes, des agronomes, des économistes…Les débats ont porté sur l’aménagement du territoire (rapport entre l’espace, l’homme et les activités) autour des questions de démographie, de forte urbanisation et des limites de l’offre de produits agricoles dans la périphérie des villes. Les villes n’ont plus leurs potagers. La production est de plus en plus éloignée des lieux de consommation. Les réponses doivent être recherchées dans le mode d’urbanisation, de répartition de la population sur le territoire et de production des aliments en zone urbaine. Les réponses à ces questions viennent bien-entendu des architectes-urbanistes, des aménageurs, des agronomes sur la conception de la Ville et ses rapports avec son environnement économique, écologique, agricole et pourquoi pas que la Ville produise sa nourriture (au moins une partie) et organise ses chaines d’approvisionnement (Supply Chain ) et rationalise son mode de consommation. Il est difficile de produire ici une synthèse de la teneur des débats sur deux jours. Au-delà donc du contenu des communications et des débats, c’est l’organisation d’une réflexion pluridisciplinaire et plurisectorielle qui mérite d’être notée. Les chercheurs de l’EPAU ont donné l’exemple, aux autres disciplines de sortir de leur ghetto pour affronter les problèmes par des démarches horizontales, prospectives et critiques. Les villes qui abritent plus de 75% des algériens méritent bien des débats de cette nature. Au moment où les agronomes et les économistes parlent d’agricultures sans paysans, les architectes-urbanistes parlent d’agriculture sans sol !!! Voilà un Challenge qui va dans le sens de la sécurité alimentaire.
La « Table Ronde » des « Energéticiens » a, elle aussi, brillé par l’originalité du thème soumis à la discussion. On est en droit de se poser la question : Pourquoi une association versée dans les questions énergétiques (Club Energy), aborde le sujet crucial des sciences sociales, alors que l’université fait semblant d’ignorer même l’utilité des sciences sociales et de leur enseignement. Pourtant il y va de sa légitimité et de son rôle dans la société. Une activité universitaire n’est légitime que si elle apporte une utilité à la société et à l’économie. S’interroger sur cette utilité est un sujet fondamental. La Table ronde organisée en format « Panel » a fait intervenir des universitaires et des praticiens venant des disciplines de sciences sociales, des sciences de l’ingénieur et même des mathématiques. Après un bref aperçu sur l’état des sciences sociales en Algérie en notant leur marginalisation dans les cursus depuis les années 70 et leur évolution en dents de scie, tantôt utiles pour la compréhension des phénomènes sociaux, tantôt stériles dans leurs approches, souvent dé-contextualisées. Contrairement aux sciences dures qui sont démonstratives et objectives, les sciences sociales sont interprétatives ; ce qui les conduit, si on ne fait pas attention, à se confondre avec l’opinion et plus grave encore elles peuvent devenir idéologiques. L’enseignement des sciences sociales demeure abstrait et les pratiques empiriques (rapport au terrain et à la validation par les enquêtes des pratiques sociales) sont rares. Les participants, majoritairement technologues, ont pris conscience de l’importance des sciences sociales dans leur vie professionnelle et considèrent la minorisation des sciences sociales dans le fonctionnement des organisations économiques comme une lacune pour la compréhension des phénomènes sociaux et relationnels dans leurs organisations. Les sciences sociales contribuent ainsi significativement au développement d’un climat social moins tendu, des rapports sociaux sereins, des rapports hiérarchiques plus coopératifs et moins conflictuels, in fine il s’agit du management des organisations. Le débat a porté essentiellement sur l’intégration des sciences sociales dans la formation des managers. Pour cela, les sciences sociales doivent évoluer dans leur contenus, leur enseignements et surtout dans leurs méthodes d’investigations pour être le plus empirique possible et ainsi sortir des sentiers battus des grands sujets génériques et abstraits qui ne servent ni les politiques publiques ni les gestionnaires et les fonctionnaires.
Un sujet aussi complexe et aussi provocateur mérite plus qu’une table ronde. Aux universitaires de s’en saisir pour réfléchir sur leurs disciplines et surtout sur leur utilité pour l’économie et la société.
Il faut rendre hommage aux organisateurs de ces initiatives originales, alléchantes et provocatrices.
ANOUAR EL ANDALOUSSI