Contribution: Le climat des affaires en Algérie ; Entre contraintes et opportunités
Par Rachid Meksen (*)
Quand on se replonge dans les rapports publiés par la Banque mondiale, relatifs à la compétitivité de l’économie algérienne, du climat des affaires et des politiques favorisant l’innovation, ainsi que les éditions du « Doing Business » nous nous devons d’être réactifs et offensifs pour asseoir une économie plus dynamique et résiliente aux effets qui en perturbent la trajectoire.
On est d’abord interpellé par l’unicité des sources d’information produisant les rapports, quasiment toutes d’origine étrangère, le point de vue national, tant en matière de production des données que d’analyses pertinentes, reste extrêmement modeste sinon invisible, ou au mieux contenu dans un style journalistique de contestation sans observation.
Entre temps la Banque mondiale a cessé de publier depuis 2020 le rapport du Doing business dans son format usuel et envisage de lui substituer une méthodologie moins contestée.
Pour sa part, l’ONS avait publié les résultats d’une enquête auprès de chefs d’entreprises pour le 1er trimestre 2023. Sans surprise, les effets des restrictions décidées pour les importations ont généré non seulement une baisse d’activité mais ont été perçues comme le signe d’une interférence de fait et abusive avec le monde de l’entreprise.
Mais depuis le dégel des restrictions, les chefs d’entreprises ont renoué avec la confiance pour les périodes à venir, le sursaut de l’activité s’est manifesté en effet et devrait se maintenir ainsi.
Le paradoxe est souvent observé à ce niveau : des performances avérées peuvent être ipso facto déroutées et produire un contre sens économique. Une analyse systémique préalable ainsi qu’un système d’information approprié éviteraient une grande partie des travers subis par le secteur économique.
A titre illustratif, ALGEX, supposée promouvoir les débouchés des produits locaux à l’international, a été chargée de délivrer des autorisations d’importation à tout opérateur dépendant d’intrants non disponibles sur le marché intérieur. L’organisme en question n’a pas le savoir faire pour y répondre, ne dispose pas de connaissances fines des besoins du marché, ne connait pas non plus les capacités installées au niveau national. Il s’en est produit une chute drastique de l’activité.
Or, la stabilité de l’environnement est primordiale pour les entreprises, dans un contexte de concurrence et de confiance à bâtir avec les opérateurs.
Dans des secteurs d’activité plus pointus, requérant une coopération avec des leaders mondiaux, la coordination des administrations centrales ou locales avec les opérateurs ne doit souffrir d’aucune approximation, ni à fortiori, de remise en cause à mi chemin, sans raison objective.
La question qui taraude les esprits et à laquelle on ne doit pas se dérober, est de savoir si l’environnement de l’entreprise est seul responsable des lenteurs dans la réalisation des projets et des heurts dans le cheminement normal des entreprises.
Transposée dans un contexte de coopération et d’échange économique, cette question suscite plus que des inquiétudes légitimes.
Les griefs exprimés font ressortir les traits suivants :
-lenteur pour la création d’entreprises, plusieurs administrations se chevauchent en exigeant des documents qui conditionnent l’octroi d’autres documents, parfois ce sont des doublons nécessitant leur reconnaissance par un autre service ;
-l’octroi de permis de construire est aussi un exercice de ballotage entre les APC et les directions locales de l’habitat, occasionnant des recours qui se prolongent ;
-le transfert de propriété, jonché de paradoxes et de pièges,
- Le dossier de crédit et le délai pour la décision (plusieurs mois contre quelques jours comparativement aux pays de la région MENA),
-l’enregistrement auprès des impôts, soumettant le concerné à des déplacements pour des dépôts et retraits de pièces, sans que les administrations et les services du registre du commerce ne collaborent ensemble afin d’alléger la procédure redondante,
-l’absence d’interlocuteurs qualifiés dans ces différentes administrations, dans les APC et les banques pour délivrer la bonne information utile pour réaliser le projet,
-enfin, comment s’arbitre la fameuse équation du « produit local disponible » avec les « besoins futurs du marché, équilibre rarement atteint dans une perspective dynamique des flux : le motif serait de ne pas encombrer davantage le marché local, comme si les exportations étaient prohibées.
Quand on s’inquiète de la faiblesse des IDE, de la concrétisation de projets de partenariat ou de la réalisation simple de projets locaux, le reflexe habituel est d’imputer cet état de fait à une loi déterminée ; en particulier celle relative à l’investissement,- qui en fait est le socle du climat des affaires. L’annonce d’une modification du texte en question est bien entendu suivie immanquablement d’un temps de latence de plusieurs mois, durant lequel tous les projets se mettent spontanément en attente d’une situation plus favorable.
Les opérateurs attendent moins des avantages que des facilités. Les premiers découlent d’une intention administrative, les secondes supposent une fluidité constante dans l’acte économique. Cette nuance est de taille, elle renvoie au paradigme de celui qui prend son temps pour accorder le ‘meilleur’ et celui qui attend juste une simplification pour réaliser !
L’abrogation (hors secteurs stratégiques), en juin 2020, de la loi plafonnant à 49% la participation étrangère dans une firme algérienne, et un nouveau soutien aux start-up laissent supposer des flux d’IDE plus denses avec la loi de 2022. Cependant l’Agence Algérienne en charge de l’investissement ne recense que 11.000 projets dont la moitié seulement est en phase de réalisation, pour un total de 270.000 emplois projetés. Ceci demeure modeste mais à sa décharge, elle a du et doit encore s’attacher à assainir le foncier économique qui demeure une plaie ouverte (environ un millier de lots assainis une proportion d’1 lot pour 10 projets).
Il est recommandé d’axer les efforts du management public en direction d’un assainissement de l’environnement des entreprises, facteur déterminant de l’amélioration du climat des affaires : Cela procède des bonnes pratiques qui demeurent un signal fort à l’endroit des marchés.
L’analyse réalisée dans le cadre de cette note a pour objectif de permettre d’évaluer les contraintes relevant du climat des affaires auxquelles se heurtent les entreprises algériennes ainsi que les opportunités à développer, afin d’en tirer profit et permettre à ces dernières de s’épanouir. Plusieurs conclusions émergent, il ya lieu de souligner que l’environnement des affaires de nos jours est de plus en plus un déterminant de la compétitivité des entreprises et de leurs pérennité.
Par ailleurs, la présence de plusieurs obstacles relevant du climat des affaires explique en grande partie le nombre limité de petites et moyennes entreprises (PME) et de grandes entreprises composant la fresque du système productif national. Les chiffres accessibles pour l’année 2023, établis par le Centre National du Registre de Commerce (CNRC) font état seulement de 240.000 sociétés immatriculées (10%) l’essentiel des acteurs restants sont recensés comme personnes physiques (au nombre de 2 millions). Voilà un autre trait distinctif qui dénote une volatilité du tissu économique et relativise la portée des progrès technologiques et de la généralisation des TIC.
L’un des principaux défis à affronter reste par conséquent celui de la création d’entreprises, étape assez complexe en matière de procédures administratives, sur laquelle se greffent les modalités de financement, soit une autre étape tout aussi rigide et lente.
Les données quantitatives et les comparaisons sont d’un apport conséquent pour stimuler le débat sur les mesures à prendre, en mettant en lumière les problèmes et en indiquant aux décideurs les enseignements à tirer des bonnes pratiques utilisées ailleurs.
Ceci nous a orienté sur plus de 300 articles cités prônant :
• L’abaissement des barrières à l’entrée est associé à un secteur informel plus restreint,
• La réduction des coûts d’entrée peut encourager la création d’entreprise et faire reculer la bureaucratie et la corruption, l’une se nourrissant de l’autre,
• La simplification des démarches à effectuer pour créer une entreprise peut accroître les possibilités d’emplois.
Ainsi l’Arabie saoudite s’est inspiré de la législation sur les entreprises en vigueur en France pour réviser son propre manuel. De nombreux pays africains se sont approprié le modèle de l’île Maurice en matière de réformes car ce pays affiche le meilleur classement de la région.
A quel moment entreprendre ces changements ? Bien entendu, une fenêtre d’opportunité est à saisir, en général, les changements structurels sont menés à leur terme quand les ‘amortisseurs’ pour absorber les difficultés passagères sont mobilisables, et c’est le cas.
On peut estimer que 5 à 6 milliards de dollars US annuels sont à réallouer à ces réformes complémentaires le temps de leur aboutissement.
En résumé, on peut retenir que la relance de l’outil industriel et l’oxygénation du climat des affaires doivent remobiliser les décideurs et les agents économiques dans leurs efforts respectifs.
L’amélioration du climat des affaires n’est qu’une succession de marches à gravir avec des objectifs intermédiaires à maintenir. Des actions opérationnelles, quantifiables, nécessitant une coordination et une planification pour garantir leur impact, sont à la portée de l’Algérie comme le montrent un certain nombre de pays qui ont misé sur des mesures rapides pour détendre le climat des affaires et s’éloigner des appréhensions qui les caractérisaient afin de mettre leur économie sur les rails du progrès.
(*) Ancien directeur général, Ministère de l’industrie