Contribution: L’industrie en quête d’un nouveau paradigme
Par Rachid MEKSEN (*)
Les enjeux marquants
Il y a une dizaine d’années, des pays occidentaux repensaient leurs stratégies nationales au regard des contraintes auxquelles il faut faire face et de l’impératif de réindustrialiser leurs économies fragilisées par un manque de compétitivité voire déclassées sur des segments entiers sabrés par un manque d’anticipation stratégique sur les transformations qui se dessinaient et s’amplifiaient en Asie, plus particulièrement en Chine, pays devenu soudainement l’ennemi tout désigné.
L’Allemagne d’Angela Merkel a du se résoudre à envisager un plan baptisé « Industrie 4.0 » pour contenir sa dépendance énergétique et relancer son industrie manufacturière que ses concurrents cherchaient à reproduire en vain.
L’épisode du Covid a davantage fait reculer les performances industrielles des entreprises sous le poids d’un recul des investissements et d’une évaporation des débouchés, affectés par des conditions sanitaires draconiennes impactant toute la chaine logistique leur servant de support.
Des aides publiques massives ont été débloquées dans certains pays pour réduire les couts de fabrication et maintenir un niveau d’emploi jugé compatible avec l’exercice d’une démocratie moderne.
Face à ces perturbations internes et externes, c’est-à-dire, endogènes au système occidental et transportées par leur environnement à la fois, la guerre en Ukraine a fini par rendre les perspectives encore plus opaques. Au flanc de ces rappels succincts, on entrevoit des enjeux majeurs : comment se réapproprier les leviers de sa souveraineté économique, quelles seront les filières industrielles à prioriser et enfin sur quel horizon temporel les impacts seront palpables. C’est tout le sens de la construction d’une économie moins vulnérable aux chocs des marchés et assise sur des ressources raisonnablement mobilisables.
Le défi perceptible
Pour faire simple, trois grands secteurs fournissent, à des degrés différents dans chacun des pays, l’essentiel de la richesse construite sur le sol national : l’agriculture, le tourisme et les services qui lui sont liés et enfin l’industrie.
Sauf que tous les pays n’en tirent pas les mêmes avantages comparés hormis les grandes puissances comme les USA ou quelques économies de l’Europe de l’ouest.
Qu’en est-il de l’économie algérienne par exemple mais qui n’est pas un cas isolé ?
L’agriculture demeure soumise aux aléas d’un climat semi aride et glissant vers plus d’aridité, ce qui limite considérablement son apport substantiel malgré des avantages nichés dans certains espaces. Le tourisme national véhicule une image culturelle et sociologique altérée par des conditions d’accueil inappropriées et des commodités inaccessibles. Les transformations susceptibles d’inverser ces tendances négatives paraissent immenses pour prétendre assister au réveil de ce secteur.
Il ne reste dans ce tableau que l’industrie qui peut à la fois promettre et promouvoir une économie potentiellement riche, diversifiée et structurée à moyen et plus long terme. Ca reste, selon nous, le défi central qui place ce secteur au milieu du gué. Ou bien repousser son déclin par des modes de régulation volontaristes et/ou réactifs ou bien inscrire la politique publique qui la soutient dans une vision programmatique sans laquelle les investissements porteurs de croissance, l’innovation incrémentale, la cohérence inter-filières, les segments à forte valeur ajoutée et les activités tournées vers l’export ne peuvent véritablement trouver le siège de leur manifestation.
Nécessité d’une approche prospective
Tout le monde s’accorde à admettre que le cycle industriel est sous tendu par une variété de paramètres forgeant la matrice d’un tissu structurant son devenir propre. Les facteurs aléatoires doivent être maitrisés au plus près pour prévenir tout risque d’extraversion économique.
Noircir une matrice industrielle cohérente est plus complexe que juxtaposer des entités cote à cote au fil des opportunités qui se présentent aux entrepreneurs.
-Le premier objectif stratégique consiste à viser une autosuffisance industrielle, objectif que le Covid de 2019 a rendu impératif pour sauver les populations d’un désastre sanitaire.
Pour ce faire, les industriels, et tout particulièrement les firmes étrangères en situation d’attente, ont besoin d’un horizon lisible, cohérent et stable à la fois pour planifier leurs investissements et percevoir leurs profits.
Précisément, l’effort de prospection à mener garantit ces facteurs et rend improbable les pilotages approximatifs qui affectent le climat des affaires et la compétitivité des entreprises. Ces dernières apprécient davantage un environnement fluide et accueillant qu’une base juridique mouvante et des leviers d’incitation fiscaux ‘compensatoires’, ce qui rend l’attrait de ces derniers plus suspects que significatifs.
-Le second objectif sous tendu par cette nécessaire approche prospective (fixer un horizon temporel) consiste à mettre en ordre un cap technologique (fixer un horizon industriel) qui matérialiserait la future carte industrielle du pays et non pas une activité prolongeant une filière isolée. Un plan industriel 3.0, voire 4.0 en fonction des ambitions qu’on souhaite lui rattacher, suppose d’identifier l’ensemble des activités de nature à infléchir les dépendances traditionnelles et faire bondir le secteur industriel vers un rôle de traction de l’économie (10à 12% du PIB au bout de 5 à 7 ans par exemple).
Les industries manufacturières sont particulièrement exposées à l’environnement extérieur, et méritent une transformation et une mise à niveau de plusieurs filières dont certaines sont à ériger avec des partenaires étrangers : le machinisme agricole, les équipements ferroviaires, les technologies de l’information e d la communication, les véhicules propres, les matériaux et le recours aux robots (la Chine en compte 1,8 million soit près de 50% du stock mondial) pour accélérer cette transformation et relancer la compétitivité au milieu d’une région géographique qui perd sa substance industrielle. Le pari mérite que l’on s’y applique loin des débats idéologiques qui minent les initiatives et obstruent la prise de risque qui demeure le versant d’une croissance soutenue génératrice de progrès car l’approximation n’aurait pas résisté. Pour preuve, dès qu’un pays emprunte cette dynamique, il se heurte immanquablement à des mesures conservatrices et protectionnistes, signe que la voie empruntée est la bonne pour les bienfaits de sa souveraineté industrielle.
(*) Economiste, ancien Directeur Général au ministère de l’Industrie
Réflexion prospective très intéressante de Rachid MEKSEN. Malheureusement, le secteur de l’industrie ne se résoud point à emprunter les pistes de gouvernance économique que l’auteur indique. L’économiste préconise avec force arguments pertinents un changement drastique de vision et de pratiques. Mais on persiste dans nos errements et nos turpitudes. Toujours l’instabilité juridique et la bureaucratie et toujours les mêmes dérives. Dès lors, une seule certitude paradoxale pour notre industrie : on continue à se chercher faute d’avoir mis en place la formule magique de libération des énergies et des dynamiques d’investissement, d’apprentissage, de développement.