Nouveaux tarifs douaniers américains: Quel impact pour les échanges entre l’Algérie et les États-Unis ?
Par Abderrahmane Hadef (*)
Introduction : Une Amérique des « deals » face à un monde fragmenté
Depuis son retour à la Maison-Blanche, le président Donald Trump poursuit une ligne de politique commerciale marquée par le rejet du multilatéralisme et la recherche d’accords bilatéraux à la carte. L’idée centrale : Renforcer la position économique des États-Unis en imposant des relations commerciales basées sur les intérêts stratégiques américains, loin des principes du libre-échange généralisé. Face à la Chine, à l’Union européenne, mais aussi à d’autres partenaires économiques, l’administration Trump entend rééquilibrer les échanges au profit de l’industrie et de l’emploi aux États-Unis.
2 avril 2025 : des tarifs douaniers ciblés pour rééquilibrer le commerce extérieur américain
C’est dans cette logique qu’intervient la décision du président Trump, annoncée le 2 avril 2025 : l’imposition de tarifs douaniers (tariffs) sur une large gamme de produits importés, visant pratiquement tous les pays du monde. Ces tarifs sont différenciés selon la situation de la balance commerciale bilatérale avec les États-Unis. Pour l’Algérie, un taux de 30 % a été fixé, l’un des plus élevés parmi les pays concernés. D’autres nations se voient appliquer des taux variables, parfois supérieurs, en fonction de la nature et du volume de leurs exportations vers les États-Unis. Cette politique intervient dans un contexte où les États-Unis ont enregistré en 2024 un déficit commercial record de 1 200 milliards de dollars, que l’administration Trump veut corriger par des mesures unilatérales fortes.
Des échanges encore modestes, mais en mutation
Le commerce bilatéral entre l’Algérie et les États-Unis reste encore modeste, oscillant entre 2,5 et 3 milliards de dollars par an. Les exportations algériennes vers les États-Unis sont principalement composées de produits énergétiques, notamment le gaz naturel liquéfié (GNL) et certains dérivés pétroliers. En contrepartie, l’Algérie importe des équipements industriels, des pièces mécaniques, des produits médicaux, ainsi que certaines technologies avancées.
Au niveau global, l’économie algérienne reste fortement dépendante des hydrocarbures, qui représentent environ 90 % de ses exportations totales. Toutefois, ces dernières années, on observe une diversification progressive vers des marchés comme les États-Unis, avec l’émergence de produits algériens dans des segments tels que la sidérurgie (produits plats, tubes), la pneumatique industrielle, ou encore l’agroalimentaire (dattes, huile d’olive, conserves végétales). Cette dynamique reste encore fragile mais témoigne d’une volonté d’ouverture et de repositionnement.
Un impact direct limité, mais des risques stratégiques à l’horizon
À court terme, les effets immédiats des nouveaux tarifs douaniers ne seront probablement pas significatifs pour l’économie algérienne. Le volume des exportations non énergétiques vers les États-Unis reste faible, et les secteurs concernés sont encore en phase d’exploration commerciale. Mais à moyen et long terme, les conséquences pourraient s’avérer plus lourdes :
– Pertes de parts de marché pour les produits algériens en voie de diversification, qui deviendraient moins compétitifs face à des concurrents mieux positionnés, notamment dans l’agroalimentaire méditerranéen ou l’acier à bas coût.
– Risque de déstabilisation des revenus d’exportation si les mesures protectionnistes américaines contribuent à un ralentissement du commerce mondial et à une baisse de la demande en énergie, entraînant une chute des prix du pétrole et du gaz, principaux produits d’exportation de l’Algérie.
– Exposition excessive au dollar US : l’Algérie continue de libeller l’essentiel de ses transactions commerciales en dollars, tout comme ses réserves de change, ce qui la rend vulnérable à une éventuelle dépréciation du dollar sur les marchés internationaux. Cette évolution réduirait la valeur réelle des actifs extérieurs du pays.
Anticiper, diversifier, équilibrer : les clés d’une réponse stratégique
Face à cette nouvelle configuration du commerce mondial, plusieurs pistes d’action s’imposent à l’Algérie pour renforcer sa résilience économique :
1. Accélérer la diversification géographique et sectorielle des exportations, en développant les échanges avec l’Afrique, l’Asie émergente, l’Amérique latine et les marchés européens de proximité, tout en investissant dans des filières exportables comme l’agriculture, l’agroalimentaire, les matériaux de construction, le numérique et les services.
2. Rééquilibrer la gestion des réserves de change, en réduisant la dépendance exclusive au dollar américain. Il serait stratégique de constituer un panier de devises intégrant l’euro, le yuan et le yen, pour mieux absorber les chocs liés aux fluctuations des taux de change et à l’instabilité financière mondiale.
3. Renforcer la diplomatie économique et commerciale de l’Algérie, en développant des stratégies de négociation ciblées, des alliances économiques régionales, et des instruments de défense commerciale capables de protéger les filières émergentes.
Conclusion : une alerte utile pour réformer
La décision américaine du 2 avril 2025 ne concerne pas uniquement l’Algérie, mais elle agit comme un révélateur de vulnérabilités pour les pays à base exportatrice étroite. Pour l’Algérie, elle offre l’occasion de poser les bases d’une réforme structurelle du commerce extérieur, de redéfinir ses priorités en matière de compétitivité et d’inscrire sa souveraineté économique dans une logique de diversification maîtrisée. Dans un monde plus instable et fragmenté, l’anticipation, la flexibilité et l’ouverture stratégique sont plus que jamais des atouts de résilience.
(*) Senior Expert en développement économique, Numérique, Énergie et diplomatie économique