Vers une nouvelle ère énergétique
Avec quelles ressources ? Et au profit de qui ? (1ere Partie)
Par Attar Abdelmadjid (*)
Il y a quelques années, parler ou débattre de transition énergétique, signifiait tout simplement se préparer, envisager, étudier, innover, décider, et mettre en œuvre des programmes et des actions pour :
- Préparer et faire face à un éventuel pic pétrolier (et gazier) du fait de l’épuisement des réserves exploitables (non renouvelables) entrainant aussi bien une baisse de la production, qu’un accroissement insupportable du prix de ces ressources énergétiques.
- Passer de l’usage de ressources énergétiques fossiles, polluantes, et non renouvelables, à d’autres ressources plus propres et renouvelables.
- Améliorer l’accès à l’énergie des populations, ainsi qu’aux activités de production dont l’économie des populations en dépend (industrie, agriculture, mobilité, etc…), et garantir la sécurité énergétique à long terme surtout.
- Contribuer ainsi à la lutte contre le réchauffement climatique et ses impacts négatifs sur le « monde entier », en fonction des responsabilités, des moyens, et des besoins de chaque région, pays, ou communauté.
Les Objectifs avaient un contenu plus ou moins universel, et les accords de Paris en 2015 (COP 21) avaient même abouti à un engagement de mise en place d’un financement de 100 milliards de dollars pour aider les pays les plus pauvres et les plus affectés par les impacts du dérèglement climatique, pour la mise en œuvre de programmes destinés à améliorer l’accès à l’énergie des populations, et d’accélérer la transition énergétique dans ces pays. Mais avec le temps, et sous l’influence de facteurs surtout géopolitiques, économiques aussi, cet objectif est encore loin d’être atteint, et aussi bien les stratégies, que les positions des pays, surtout les plus riches, les plus développés, et les plus responsables dans le changement climatique, ont été modifiées.
La course aux ENR a pratiquement convaincu le monde entier et devenue un objectif primordial à travers le monde, ce qui est positif en matière de lutte contre le réchauffement climatique, mais la crise énergétique de 2021 aggravée par les conflits géopolitiques a fini par mettre l’énergie au centre de toutes les politiques et stratégies pour faire face à l’interdépendance des pays importateurs soucieux de leur sécurité énergétique, et ceux exportateurs soucieux de leurs revenus. les « plus puissants » (au sens large) ont adopté des stratégies basées uniquement sur leurs besoins (une économie basée sur une importante consommation d’énergie), leurs moyens (technologiques et financiers), et des politiques souvent destinées d’abord à garantir leur indépendance énergétique. Un des signes de ce revirement concerne les changements de cap concernant :
- Le gaz naturel qui est maintenant reconnu comme une source d’énergie propre, et un « bon compagnon des ENR ».
- Le nucléaire qui est réhabilité et appelé à contribuer de plus en plus au mix énergétique dans les pays les plus développés et les plus gros consommateurs d’énergie.
- La marche arrière dans le secteur de la mobilité électrique chez certains pays et grands constructeurs de véhicules électriques, qui sonnaient « le glas pour le pétrole ». Ils renoncent à leurs programmes de construction et parfois même les règlementations ou les délais de mise en œuvre (UE en ce moment).
- Et enfin la course à l’hydrogène vert localement ou partout où il est possible de le produire grâce aux potentiels ENR existants. Il est même considéré comme étant le vecteur et la source d’énergie du futur. D’après l’AIE, « plus de 70 millions de tonnes d’hydrogène seront produites chaque année par l’électricité ou par des centrales électriques équipées de systèmes de captage du carbone d’ici 2030, et la demande atteindra 430 millions de tonnes par an d’ici 2050 ». Mais il s’agit d’une hypothèse basée sur le scenario « Zéro Carbone 2050 ».
En dehors de l’usage de cet hydrogène vert pour décarboner l’industrie, ou comme carburant dans le transport lourd et intensif (maritime et aérien), le problème de cette source d’énergie demeure cependant lié à :
- En premier lieu une demande incertaine en dehors de celle du secteur industriel, et par conséquent d’un marché susceptible de croitre rapidement pour faire baisser les couts de production, de transport et de stockage. Ce qui a fait dire au PDG de TotalEnergies « Reconnaissons que nous n’en sommes qu’au stade embryonnaire et cessons de parler de 10, 20 millions de tonnes. Pour être clair, il n’y a aucun moyen de réduire le coût de l’hydrogène vert s’il ne s’agit que d’un marché de niche ». L’UE envisage d’en produire 20 millions de tonnes à l’horizon 2030 et d’en importer 10, alors que le « Commissariat à l’énergie atomique français a révélé que la demande industrielle en hydrogène bas carbone s’élèverait à seulement 2,5 millions de tonnes par an d’ici 2030 et 9 millions de tonnes en 2040 ».
- Son coût (autour de 4$/Kg) demeure en moyenne 4 fois plus cher que l’hydrogène gris(entre 1 et 2$/Kg) actuellement produit à partir du méthane pour les usages industriels. Ce cout est essentiellement lié à celui de l’énergie verte nécessaire dont la part est de 70% (Electrolyseur), aux CAPEX qui sont de 20%, aux OPEX avec 5%, et à l’eau pour 2%. Toutes les stratégies mises en œuvre actuellement, surtout en Europe et aux USA, ont recours aux subventions en attendant d’éventuels progrès technologiques pour baisser ce cout au-delà de 2030.
- La consommation d’eau pour produire de l’hydrogène vert par électrolyse est en théorie très basse, avec 9 litres par Kg d’hydrogène, mais pourrait atteindre en réalité 20 à 30 litres en fonction des technologies utilisées et du lieu des sites de production (nécessité du traitement préalable).
- Les canaux des échanges quand il s’agit d’importation à partir d’un amont à cause de l’absence des moyens et capacités d’en assurer le développement, la production, et le transport, au niveau ou à partir des pays qui disposent des plus grands potentiels énergétiques renouvelables, alors qu’ils sont de loin les plus faibles consommateurs d’énergie.
- La lenteur des progrès technologiques pour en faire un carburant fiabledans le secteur de la mobilité bien que « l’heure de la voiture à hydrogène finira par sonner quand sa souplesse d’usage l’emportera sur ses handicaps, notamment pour les utilisations intensives (taxis, forces de police et de sécurité, secours…), et quand son empreinte carbone plus faible que celle d’un véhicule électrique fonctionnant avec des centaines de kilos de batteries sera reconnue ». (Réf : Transition Energies 06.09.2024).
La plupart des politiques développées en ce moment par les pays riches et surtout les plus gros consommateurs d’énergie, consistent ainsi à :
- Contrôler, sinon Maitriser les réserves non renouvelables et les échanges à travers le monde, ainsi que le marché (pression sur les prix vers le plus bas possible).
- Influencer les détenteurs/exportateurs de ressources énergétiques (rentiers, et les « plus faibles ») en matière de transition énergétique, de développement et d’affectation à l’exportation des ressources naturelles disponibles (énergétiques bien sûr et autres comme les minéraux stratégiques rares) sans tenir compte de leurs responsabilités historiques sur le réchauffement climatique.
- « Conditionner et Soutenir » l’affectation de l’énergie à produire ailleurs (surtout d’origine renouvelable), en partie à l’exportation, de façon directe ou indirecte en cas de valorisation locale, alors que dans de nombreux cas, et plus particulièrement en Afrique, la majeure partie des populations n’a même pas accès à une énergie qu’elle soit d’origine fossile ou renouvelable et propre.
La priorité des pays à fort potentiel renouvelable, étant en principe la disponibilité et l’accès à l’énergie dont ont besoin leurs populations, et leur faiblesse étant l’absence des moyens invoqués, et souvent aussi une économie rentière et très dépendante des ressources fossiles, le choix n’est pas facile par conséquent pour eux en matière d’objectif à prioriser et de contenu des programmes de transition énergétique. Pour y arriver il faut nécessairement :
- Définir et mettre en œuvre des stratégies adéquates, et passer d’abord par des choix et des arbitrages internes en matière de modèle de consommation énergétique.
- Puis faire face à des positions de force à l’échelle mondiale, des compétitions acharnées, des alliances et des conflits à dimension géopolitique, dont le cœur n’est autre que l’énergie.
- Avant d’aborder l’objet central de notre analyse, à savoir quel usage faire des ressources disponibles ou à développer (y compris l’hydrogène vert), il est utile de tenter de comprendre un peu tout ce qui se dit « en matière d’énergies fossiles qu’il faut absolument remplacer par des énergies nouvelles, propres, et renouvelables » :
- Sommes-nous vraiment à la veille ou au début d’une nouvelle ère énergétique ?
- D’un pic pétrolier (production) annonçant la fin des réserves en ressources fossiles et des prix d’accès insupportables ?
- D’un pic de la demande/consommation ?
- D’une époque où des réserves en hydrocarbures vont etre abandonnées dans le sous-sol ?
- Est-ce que la transition ne risque pas de passer par une période où le prix du baril pourrait aussi bien atteindre un pic vers le haut, qu’un plancher vers le bas, tous les deux insupportables par l’économie mondiale !
- Est-ce que la transition énergétique n’est pas d’abord conditionnée par une transition économique interne avant tout ?
Dans tous les cas de figure, il y a certes un consensus que la solution passe par une transition énergétique à terme, de l’usage d’une source d’énergie vers une nouvelle, et surtout d’un modèle de consommation à un nouveau, mais aussi des politiques et des stratégies à mettre en œuvre en fonction des besoins et des moyens dont on dispose. Il ne fait donc aucun doute que le monde est définitivement en train de muter vers une nouvelle ère énergétique à tous les points de vue : ressources, modèles de consommation, impacts économiques et géopolitiques.
Nous (« Energy Magazine ») tenterons donc d’en analyser les différentes facettes à travers 2 prochaines parties que nous publierons au fur et à mesure :
- Faut-il croire que la fin des combustibles fossiles va survenir par celle des réserves ou de la demande / consommation ?
- L’hydrogène vert et « son canal Afrique / Maghreb-Europe » un mythe ou une réalité ? Quel usage faire de son potentiel énergétique ?
(*) Expert en énergie, ancien ministre