Chronique Eco: L’université au cœur des enjeux du développement économique
Tous les enjeux du développement économique convergent vers l’innovation et la recherche-développement, en d’autres termes vers la formation supérieure et la recherche. La compétitivité des entreprises (et de l’économie nécessairement) est fortement corrélée avec l’innovation et la qualité de la ressource humaine. Le capital humain, depuis les travaux pionniers de deux économistes, Prix Nobel : Th. Schultz (1979) et G. Becker (1984), est un facteur décisif dans la compétitivité, on parlait plutôt de productivité. Leur démonstration part de l’hypothèse que l’impact de la formation sur la productivité et l’innovation est réel et peut même être mesuré à long terme. D’ailleurs, ils considèrent que le financement de la formation peut être récupéré par le différentiel de productivité procuré par l’impact de la formation sur celle-ci. C’est souvent ce qui justifie que les entreprises financent les étudiants ou encore, que les étudiants contractent des crédits pour financer leurs études car ils considèrent que la formation leur procure un niveau de salaire leur permettant de rembourser le crédit. C’est la deuxième hypothèse qui peut poser problème dans certains contextes ; c’est-à-dire que les revenus ou les salaires ne sont pas toujours corrélés au niveau des qualifications ou de la productivité. Le capital humain recouvre « l’ensemble des connaissances, qualifications, compétences et caractéristiques individuelles qui facilitent la création du bien-être personnel, social et économique. » « Le capital humain constitue un bien immatériel qui peut faire progresser ou soutenir la productivité, l’innovation et l’employabilité » (OCDE). L’investissement en capital humain est aujourd’hui l’un des grands thèmes de la politique publique dans les pays développés. Il semble pouvoir apporter des solutions à plusieurs problèmes auxquels les décideurs politiques ont été confrontés au cours des dernières décennies, à savoir le ralentissement de la croissance économique dans la plupart des pays occidentaux depuis 1973, la montée du chômage et la polarisation des revenus. L’accumulation de capital humain permettrait en effet des gains de productivité favorables à la croissance et à l’emploi.
L’existence d’un marché de travail efficient, faisant ressortir la nature et le niveau de qualification et des compétences est nécessaire pour justifier les dépenses de formation aux compétences et aux qualifications. Sans ce marché, les dépenses de formation seront considérées comme des dépenses pour la culture générale dont l’impact sur le développement existe mais pas significatif. En Algérie, on note le fort taux de chômage des diplômés de l’université (plus de deux fois le taux de chômage général). Quelle explication à ce constat ? Les entreprises ne sont pas assez développées au plan technologique pour recruter des ingénieurs ? Ou plutôt, les diplômés ne sont pas bien formés pour intégrer une structure productive ? Il est vrai que la frontière technologique n’est pas franchie par les entreprises algériennes, même si, certaines sont très sophistiquées. Quoi qu’on pense, la qualité de la formation dans l’enseignement supérieur est faiblement adaptée aux besoins des entreprises. Par ailleurs, les Start-Up ne sont pas une panacée pour régler les problèmes d’emploi des jeunes diplômés. Le taux de mortalité des start-Up est très élevé dans le monde et il est encore plus élevé en Algérie en raison de l’absence d’un écosystème approprié à ce genre d’entreprise.
Les Start-Up ne constituent pas une politique de développement, mais juste un segment dans un processus de développement. Alors faire de ce segment l’axe principal de l’activité de l’université, c’est changer sa vocation principale qui est la formation à des compétences et des qualifications. Occuper tous les étudiants à créer des Start-Up est une démarche qui risque d’avoir à la sortie des étudiants mal formés (des programmes de formation amputés par le temps consacré au projet Start-UP) et peu de Start-Up lancées réellement. Le volontarisme dans l’action sans un regard critique sur celle-ci risque de se transformer en idéologie. L’université doit continuer à former des ingénieurs et des compétences d’abord, car tous les étudiants ne sont pas et ne pourront pas tous devenir des entrepreneurs et des innovateurs, la très grande majorité est destinée au marché du travail et donc elle a besoin d’une formation solide donnant des qualifications et des savoir-faire utiles. Méfions nous des effets « mode ».
ANOUAR EL ANDALOUSSI