20/05/2024
ANALYSE

De ChatGPT à Midjourney: L’IA s’installe dans les entreprises

Employés et directions s’approprient les logiciels d’intelligence artificielle capables de générer textes et images. Souvent déployés pour gagner du temps et de l’argent, ces outils suscitent de l’enthousiasme, mais aussi des questions.

J’ai commencé à utiliser ChatGPT en janvier, raconte Pierre, chargé de communication d’une PME de services administratifs, à propos du désormais célèbre robot conversationnel lancé en novembre 2022 par la société OpenAI. Au début, les résultats n’étaient guère probants, mais en me perfectionnant grâce à des vidéos YouTube, j’ai réussi à automatiser environ de 30 % à 40 % de ma charge de travail, qui consiste à écrire des articles et des billets sur les réseaux sociaux. » L’auteur de ce témoignage, recueilli dans un appel lancé sur Lemonde.fr, est enthousiaste… mais ne souhaite pas que son nom apparaisse, car le patron de sa PME « a beaucoup de mal à considérer l’utilisation des intelligences artificielles [IA] comme du travail réel ». La vogue des IA dites génératives – capables de créer, à partir d’une simple instruction écrite, du texte, comme ChatGPT, ou des photos ultraréalistes, comme Midjourney – commence à toucher les entreprises.

« Aujourd’hui, tous les créatifs de notre agence jouent avec ces logiciels. Et particulièrement les moins de 35 ans », raconte Bertille Toledano, présidente de l’agence de publicité BETC et coprésidente de l’Association des agences-conseils en communication (AACC). Mais, au-delà des premiers convertis technophiles, ces outils vont-ils bouleverser le monde du travail ?

 Ou rejoindront-ils la liste des nouveautés ayant fait l’objet d’un emballement exagéré avant de décevoir, comme le métavers ou le casque de réalité virtuelle ? « Les intelligences artificielles génératives ont un effet sur des métiers qui semblaient à l’abri de l’automatisation, en particulier dans le tertiaire », décrypte le sociologue Yann Ferguson, enseignant-chercheur à l’Institut catholique d’arts et métiers de Toulouse et responsable scientifique de LaborIA, un programme d’analyse des impacts de l’IA sur le travail lancé en 2021 par le gouvernement et l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique.

Dans les entreprises, dans la banque d’affaires Morgan Stanley ou la plate-forme d’e-commerce Cdiscount, des premiers déploiements ont déjà lieu. Et les géants du numérique (Microsoft, Google, Amazon ou Meta) poussent ces technologies. « Les entreprises sont plutôt convaincues, mais elles se posent aussi des questions », constate Laurent Daudet, cofondateur de LightOn, un éditeur français de grands modèles de traitement du langage, les moteurs sur lesquels s’appuient les interfaces comme ChatGPT.

Quel sera vraiment l’apport de l’IA générative ? Quels sont les risques ? Un sondage JobTeaser-Kantar de février résume l’ambivalence des sentiments face à cette technologie : une majorité des actifs de 18 à 27 ans considéreraient qu’elle libérera du temps de travail ou créera des nouveaux emplois… mais 61 % craignent aussi un impact sur leur carrière.

 « Copilote » des informaticiens

C’est pour les informaticiens, développeurs en tête, que le recours aux IA génératives est le plus avancé. Depuis juin 2022, ceux-ci peuvent utiliser Copilot, un assistant d’aide à la programmation lancé par Microsoft, partenaire d’OpenAI, et par GitHub, la principale plate-forme de publication de logiciels. Cet outil, accessible pour 10 euros par mois, s’appuie sur la capacité des grands modèles de traitement du langage à gérer du code informatique, qui est une forme de texte.

« Quand un développeur écrit du code, Copilot lui propose la suite, en fonction du code déjà écrit et des fichiers ouverts en parallèle. Je ne me risquerais pas à estimer le gain de productivité, mais il est bien réel », raconte ainsi Adrien Boullé, directeur de l’ingénierie chez Myre, un gestionnaire de patrimoine immobilier.

« C’est aussi un outil formidable pour extraire des informations pour lesquelles je serais normalement forcé de parcourir des fichiers PDF de plusieurs milliers de pages », renchérit Maxime, un consultant dans le secteur électronique qui préfère témoigner de manière anonyme. « J’ai développé des applications avec l’aide de ChatGPT », explique de son côté Halima Drobek, informaticienne à Francfort, en Allemagne.

 Chez Sopra Steria, prestataire de services numériques, l’intelligence artificielle générative est déjà utilisée « depuis un certain temps », comme « un compagnon, pour écrire des lignes de code, générer de la documentation ou encore mener des tests pour vérifier le code », explique son directeur technique, Mohammed Sijelmassi.

Dans le secteur, certains développeurs sont toutefois réticents à déployer de façon opérationnelle du code généré par une IA, jugeant que son fonctionnement et sa provenance ne sont pas suffisamment clairs. M. Boullé, lui, se demande si, un jour, pour les informaticiens, « il “suffira” d’être capable d’interagir avec l’IA pour lui faire “comprendre” notre intention, pour qu’elle l’implémente [qu’elle la développe] elle-même ».

Mais il ajoute : « Les guillemets sont importants : il ne faut surtout pas s’imaginer qu’il y a une sorte d’intelligence qui interprète et comprend. »

En tout cas, l’usage se répand vite : selon GitHub, 46 % du code produit dans les langages où Copilot est activé proviennent désormais de son assistant. Et, le 13 avril, Amazon a lancé un programme concurrent, baptisé « CodeWhisperer ».

La tentation des images artificielles

Autre territoire de conquête privilégié de l’IA générative : l’image. Celle-ci semble déjà plébiscitée dans les travaux préparatoires à la création. Des graphistes d’animation ou de jeux vidéo réalisent ainsi des « moodboards », ces planches de références utilisées pour décrire le résultat attendu.

« Cela remplace uniquement des images qu’on allait chercher auparavant sur le Net », précise Cyril, directeur artistique dans un studio d’animation français, qui souhaite rester anonyme. « Midjourney traduit les images que j’ai en tête avec une précision bien supérieure à celles des banques d’images que j’utilisais avant », explique le réalisateur de publicités Gilles Guerraz.

Pour le graphiste de pochettes d’album KSGraph, les prévisualisations générées par IA « permettent au client de mieux se projeter qu’avec [ses] croquis ». En publicité, l’usage est aussi répandu pour les prémaquettes de campagnes, raconte Mme Toledano, tout en précisant que la photo donne ensuite lieu à une prise de vue bien réelle.

Les studios d’animation ou de jeux vidéo internationaux interdisent aussi l’utilisation d’éléments générés par l’IA dans les productions finales, racontent des employés. « Ce ne serait ni éthique ni viable », pense Cyril.

L’IA générative commence toutefois à s’immiscer dans certaines phases de production : en publicité, elle permet de modifier en temps réel des décors virtuels projetés en studio sur des écrans numériques à 360 degrés (changer la lumière, ajouter des ombres…).

Ce qui évite de payer le déplacement de toute une équipe sur un lieu de tournage, parfois à l’autre bout du monde… D’autres n’hésitent pas à utiliser directement les clichés fabriqués par l’IA.

Guillaume Jacquet-Lagrèze a ainsi eu recours au logiciel Dall.E 2, d’OpenAI, pour illustrer les « séminaires d’entreprises en bateau solaire » sur le site Web de son entreprise niçoise SeaZen. « Le plus dur, raconte-t-il, a été de trouver les bons mots-clés pour générer des images adaptées : “maître de yoga en position de lotus”, “photo d’un présentateur debout derrière son pupitre”, etc. »

Chez Slidor, une entreprise qui enrichit les représentations graphiques PowerPoint de grandes entreprises, la moitié des images sont aussi générées par Midjourney. « Pour les illustrations, cela prend trois fois moins de temps avec l’IA qu’avec un dessin à la main », assume son cofondateur Jérôme Bestel.

Pour David Leclabart, coprésident des agences publicitaires Australie.GAD et de l’AACC, certains prestataires produiront en masse, à bas prix (Midjourney coûte 10 dollars, soit environ 9 euros, par mois), des images pour des campagnes en ligne. Au risque de faire baisser la « valeur de la création », pour les consommateurs et pour les artistes… Cette inquiétude est moins présente dans le secteur des effets spéciaux, où « les gens sont plutôt emballés », selon Gaël Honorez, de PresenZ.

Ce producteur belge de films im-mersifs en 3D a utilisé l’outil Stable Diffusion pour générer le fond du cadran d’une montre. « Avec l’annonce par l’éditeur Adobe d’un logiciel d’IA entraîné sur des images respectant le copyright, cet usage deviendra probablement la norme », pense-t-il.

L’IA sert aussi à automatiser des tâches fastidieuses, comme isoler puis faire disparaître ou modifier les éléments non désirés dans une vidéo.

Le rêve d’un assistant personnel

« Préécriture d’e-mail, premier essai pour une étude de marché, se faire passer pour un consommateur pour préparer les questions d’un entretien… » Julien Rechenmann, fondateur d’une start-up en neurotechnologie à Toronto (Canada), estime économiser « un tiers » de temps de travail grâce aux IA génératives, vues comme un genre d’assistant.

Chez la PME Slidor, 75 % des salariés utiliseraient ces outils pour créer des comptes rendus de réunion, etc. L’« ami » est parfois présenté comme un remède – partiel – au complexe de la page blanche, permettant de générer des idées, pour écrire un texte, voire un scénario.

« Ça me permet souvent d’avoir des déclics quand je bloque », explique l’enseignante en lycée professionnel Sandrine Maduraud, 55 ans, qui en amont des cours essaie ChatGPT pour « trouver des plans, des questions plus variées, des réponses rédigées… ».

« J’utilise ChatGPT au moins une fois par jour, explique le directeur des ressources humaines d’une grande entreprise informatique. Je prépare des communications aux équipes : projet de déménagement, événements ou célébrations… »

Il confie être allé jusqu’à demander au robot de « nuancer » son propos pour, par exemple, être « plus empathique » avec les employés… Ryan, étudiant en informatique à l’Ecole normale supérieure, en stage dans un laboratoire de recherche, lui, « demande un brouillon à ­ChatGPT dès qu’il faut faire un truc formel, genre e-mail.

Je l’utilise systématiquement pour communiquer l’état de mes recherches aux autres, via des présentations académiques ou grand public ». En bémol, les adeptes soulignent le besoin de « vérifier » le contenu : « Je dois reprendre certaines tournures de phrase et supprimer des paraphrases, prévient M. Rechenmann. C’est un excellent premier jet. »

Des logiciels internes

Au-delà des salariés isolés, l’IA générative a aussi commencé à se diffuser dans les grands groupes. « Pour avoir plus de fiabilité et de maîtrise, les entreprises veulent souvent affiner un modèle en l’entraînant sur leurs propres données, ou alors le réentraîner entièrement », raconte Julien Chaumond, cofondateur de Hugging Face, plate-forme de publication de logiciels et de ressources en IA.

L’agence d’information Bloomberg a ainsi entraîné BloombergGPT sur quarante années de dépêches et de données financières. Ce robot interne répondra aux questions des employés, de la même façon que celui créé par Morgan Stanley avec OpenAI.

« Nos conseillers financiers peuvent lui demander de comparer nos analyses de la situation d’Apple, Microsoft et IBM, ou de renseigner un client sur le statut des trusts en Californie, etc. Avant cela, il leur aurait fallu cliquer sur plusieurs documents, puis les comparer », explique Jeff McMillan, responsable de l’analyse de données de Morgan Stanley, qui teste cet outil avant de le généraliser cet été.

Le fournisseur de logiciels pour entreprises Salesforce a, lui, lancé Einstein GPT, déjà utilisé par l’électricien français Schneider Electric. Chez Cdiscount, les interfaces d’OpenAI servent à classer les fiches produits envoyées par les vendeurs de la plate-forme, ce qui aurait « divisé par deux les produits mal catégorisés ».

Chez LightOn, un des clients veut utiliser l’IA pour analyser, « avec une fréquence beaucoup plus grande qu’aujourd’hui », des avis écrits en ligne par des acheteurs. Un autre, assureur, souhaiterait répondre au moyen d’un robot à des questions de clients : après avoir chargé leur contrat en ligne, ceux-ci pourraient savoir s’ils sont assurés contre la grêle, etc. L’IA serait aussi prometteuse dans la relation client : la Société générale cherche actuellement à recruter une personne capable d’améliorer ses algorithmes « pour la classification et l’extraction automatique d’informations dans des documents scannés, l’analyse de verbatim clients pour détecter des thèmes récurrents, ou encore le résumé automatique d’appels téléphoniques ».

Cette dernière fonction est également en test chez Bouygues Telecom, avec IBM et Amazon, rapporte le média CIO. Et, à la Société générale, l’IA sert aussi déjà à analyser les « projets de contrats » pour en « accélérer le traitement ».

En gestion des ressources humaines, côté employeurs, certains proposent des solutions d’IA générative, comme Hippolyte-rh, HeyTeam ou CVDesignR, qui y voient un moyen d’« étoffer les recherches de profils » en élargissant les termes.

Côté candidats, l’entreprise propose depuis février un outil de création de CV assistée par ChatGPT, utilisé « par 10 % des candidats ».

Une technologie poussée par les géants du numérique

L’IA générative suscite une vaste offensive des géants des services en ligne dans le cloud, l’informatique dématérialisée. Microsoft propose sur sa plate-forme tous les modèles de son partenaire OpenAI, dans lequel il a investi plusieurs milliards de dollars. Son concurrent Google invite depuis mi-mars les entreprises à développer, à partir de ses grands modèles de langues, « leurs propres applications, interfaces de discussions et assistants numériques ». Amazon vient d’annoncer un partenariat avec Hugging Face, puis une interface baptisée « Bedrock », qui met à disposition des entreprises ses propres modèles d’IA générative, ainsi que ceux des start-up Anthropic ou Stability AI. Amazon déploiera aussi ces IA par la voie des cabinets de conseil Accenture ou Deloitte. Cette tentative de pénétrer les entreprises par le haut se double d’une approche par le bas : Microsoft et Google vont bientôt déployer des « assistants » d’IA générative dans leurs logiciels de bureautique Microsoft 365 et Workplace.

Ceux-ci promettent de rédiger un résumé d’une réunion tenue en visioconférences dans Teams, des brouillons d’emails dans Gmail ou Outlook, de générer des présentations de type PowerPoint avec des illustrations créées par l’IA, ou encore de raccourcir des textes dans Word ou Docs…

Incertitudes juridiques et limites techniques

Quel sera le réel gain de temps ? Comment éviter les erreurs que peuvent commettre ces logiciels ? Le résumé d’une réunion sera-t-il fiable ? La plupart des personnes interviewées soulignent la nécessité de « repasser derrière » le robot. Morgan Stanley ou ­LightOn notent que, pour aider cette vérification, leurs chatbots mentionnent des « sources », ce que ne fait pas ChatGPT. Par prudence, Bouygues Telecom préfère pour l’heure ne déployer ce type d’outils qu’en interne. L’IA générative souffre aussi d’une « incertitude juridique », note Bertille Toledano.

Pour KSGraph, publier des images créées avec IA pourrait relever du « vol de style ». Les craintes sur le droit d’auteur sont réelles : l’agence Getty ainsi qu’un collectif d’artistes ont déposé des plaintes contre Stable Diffusion ou Midjourney, accusés d’avoir entraîné leurs modèles sur des images sans autorisation de leurs auteurs. Certains réclament une rémunération en compensation. Le débat est le même dans le code informatique : des développeurs ont déposé plainte contre Copilot. Les interrogations autour de l’IA générative rappellent celles liées au cloud. « Les clients se posent des questions sur le contexte réglementaire, notamment depuis l’interdiction de ­ChatGPT en Italie par l’autorité de protection des données », constate Laurent Daudet, de ­LightOn. La France a exclu un tel bannissement, mais le cas ChatGPT est examiné à Paris et à Bruxelles, où est discuté le règlement européen « AI Act ».

Quelle transparence imposer sur les modèles d’IA ? Quelle responsabilité en cas de dommage ? A ces débats s’ajoutent les craintes sur la souveraineté et la confidentialité des données : le coréen Samsung a ainsi restreint l’accès à ChatGPT après que des employés l’ont interrogé sur du code et des notes de réunions jugés sensibles…

Alertes sur l’emploi

L’autre débat qui plane sur l’essor de l’IA générative est l’emploi : ces logiciels remplaceront-ils des travailleurs dont les tâches auront été automatisées ? Plusieurs études sont alarmistes : jusqu’à 18 % des emplois dans le monde seraient menacés, selon un rapport de la banque Goldman Sachs publié en mars. Premiers concernés : les cadres et les postes administratifs. En parallèle, cherche à nuancer l’étude, de nouveaux emplois apparaîtraient, comme « ingénieur d’assistance » ou « prompt engineer » (rédacteur d’instructions pour les logiciels). Et la productivité augmenterait. Selon une autre étude, commandée par OpenAI et publiée en mars, 80 % des employés américains verraient « à terme » l’IA générative affecter au moins 10 % de leurs tâches, dans une proportion importante pour 19 % d’entre eux. Mais, préviennent les auteurs, « il est difficile de savoir dans quelle mesure les professions peuvent être entièrement décomposées en tâches ». Même prudence à la direction générale de Pôle emploi : « Il est encore trop tôt pour faire une topographie claire des impacts sur les recrutements », y affirme-t-on. En fait, tout dépendra du déploiement effectif de tels outils au sein des entreprises, pointait une étude de LaborIA publiée fin mars. La question de la qualité de l’emploi se pose aussi. L’IA menacerait le sentiment de reconnaissance des salariés : « Le risque, c’est de tolérer une qualité qui n’est pas acceptable. Or, on a besoin de se rappeler qu’on a fait du beau travail, affirme Yann Ferguson. Hors de la tech, il y a parfois un sentiment de honte chez ceux qui utilisent l’IA : ils ont peur de ne plus être méritants. » M. Ferguson anticipe deux scénarios : « Soit la déqualification des salariés, soit leur “encapacitation”. » Une analyse partagée par Matthieu Trubert, délégué syndical Ugict-CGT chez Microsoft France : « Si les personnes ne sont pas formées à la haute technicité des outils qu’il va falloir utiliser pour continuer à effectuer leur métier, on va perdre des gens, l’autonomie va en prendre un coup, et le risque est d’être encore plus isolé dans son travail, prévient-il. Si tout le monde devient “prompt engineer”, on aura une armée de questionneurs d’oracle, de pousse boutons. »

Révolution ou vogue ?

A long terme, l’intelligence artificielle générative va-t-elle vraiment engendrer une « révolution » ? Les figures de la tech prédisent un avenir presque sans limites pour l’IA en général. « C’est aussi fondamental que la création du microprocesseur, de l’ordinateur PC, de l’Internet ou du smartphone », a prophétisé Bill Gates, le fondateur de Microsoft, après avoir testé ChatGPT. Yann LeCun, responsable de l’IA chez Meta, croit possible l’émergence d’une « renaissance » ou d’un « nouveau siècle des Lumières ». Le PDG d’OpenAI, Sam Altman, imagine une « révolution comparable aux révolutions agricole, industrielle et numérique ». D’autres, dont l’ex-dirigeant d’OpenAI Elon Musk, estiment l’IA puissante au point d’être « dangereuse » à terme pour l’humanité, et ont réclamé, par une lettre ouverte du 28 mars, une mise en « pause » des recherches. « ChatGPT n’est pas le premier grand moment dans l’histoire de l’IA, relativise Yann Ferguson. Dans les années 1980-1990, il y a eu les systèmes experts, spécialisés sur un type de tâche, qui ont bénéficié des mêmes effets d’annonce sur la fin du travail, avant d’être abandonnés car ils manquaient de flexibilité. Et ChatGPT n’est pas le premier buzz de l’IA d’apprentissage, il y a eu l’annonce du projet de voiture autonome Google Car en 2011, ou la victoire de l’ordinateur-joueur de go AlphaGo en 2015. » Dans un autre registre, les assistants vocaux comme Alexa, Siri ou Google Assistant ont eux aussi fait l’objet de prévisions très optimistes, suivies de déceptions. ChatGPT, Midjourney et les logiciels génératifs se distinguent toutefois d’innovations récentes comme le métavers car ils se diffusent en partie « par en bas » dans les équipes, notent Mme Toledano ou M. Ferguson. Julien Chaumond, de Hugging Face, implanté en Europe mais aussi aux Etats-Unis, compare, lui, cette vague d’innovations à « l’arrivée de l’informatique de bureautique dans les années 1990 ». « Si on écoute la Silicon Valley, l’IA va tout changer, voire entraîner la fin du monde d’ici à deux ans. Alors qu’à Paris les gens ont à peine entendu parler de ChatGPT… La vérité est probablement entre les deux », pense-t-il.

Enquête réalisée Par Louis Adam, Vincent Fagot, Corentin Lamy, Julia Paret, Alexandre Piquard, Nicolas Six, et Jules Thomas

Source : Le monde édition du 26 avril 2023

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