09/05/2025
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Chronique Eco: Allons-nous vers une nouvelle mondialisation ? Ou juste un réajustement.

La mondialisation heureuse, comme aime à l’appeler les tenants du libéralisme et du libre –échange, va-telle céder sa place à une mondialisation plus humaine, plus éthique, plus solidaire, plus durable, plus juste ? Rien n’est moins sûr ; mais ça reste un défi possible.

La mondialisation par le libre-échange et la financiarisation à outrance commence à connaitre ses limites. Sa logique, non apparente, est profondément mercantile. Le libre-échange prôné par les plus forts, dans les années post 2ème guerre mondiale, au nom d’une division internationale du travail, a reconfiguré la géographie économique par l’effet des rapports de compétitivité économique. Les pays industriels ont poussé la logique de cette DIT jusqu’au bout, pour aboutir à une désindustrialisation massive des économies occidentales et à une spécialisation parfois très poussée ; il y a ceux qui localisent les industries manufacturières  et ceux qui investissent dans les services à haute valeur ajoutée. Et il y a ceux qui sont restés plombés dans une spécialisation sur les matières premières.  Elle a accéléré l’effondrement des économies industrielles et à précipité la désindustrialisation du « monde » capitaliste ; ce dernier est devenu mercantile et financier. Certains économistes parlent de découplage entre économie réelle/économie financière  Aujourd’hui l’avantage tiré de ce rôle, dans la sphère commerciale et financière,  devient fragile et susceptible de crise à tout moment.

Dans les années 80, le libéralisme apportera sa réponse grâce à la mondialisation. Elle fera baisser les prix pour maintenir la consommation (ou le consumérisme, valeur centrale du capitalisme), et les coûts en élargissant la concurrence au monde entier. C’est la naissance de la « Mondialisation heureuse ». Cette mondialisation est maintenant attaquée par ses promoteurs, parce qu’elle n’est plus avantageuse pour ces derniers. Les avantages du libéralisme s’épuisent pour certains (USA en particulier) et avec eux, la crise financière s’installe dans la durée au moment où l’épuisement des ressources naturelles s’accélère. On assiste du coup à une volonté de freiner le libéralisme globalisé et le retour au protectionnisme du début du siècle dernier.  

En matière économique, les convictions s’estompent là où commencent les intérêts, comme le montre souvent les volte-face des pays développés vis-à-vis des pays en développement à l’occasion des négociations internationales (GATT, OMC, FMI…). Derrière les discours « politiquement correctes » se cachent des stratégies de domination, de captation des rentes, de spoliation des richesses naturelles, etc. Les réserves américaines à l’égard du libre-échange ne sont pas apparues en 2025. L’histoire révèle en effet que « les États-Unis [le] défendent quand il sert leurs intérêts, mais l’abandonnent au profit du protectionnisme dès l’instant où les forces du marché remettent en question leur suprématie », souligne le China Daily du 19 mars 2025, repris par le Monde Diplomatique (Mai 2025).

La « tempête Trump » s’inscrirait donc dans le contexte plus large d’une crise américaine aggravée par une inflexion : la mondialisation à laquelle a présidé le pays depuis 1945 lui profite moins qu’autrefois (idem).

L’ère d’un commerce international de plus en plus libre et étendu, fondé sur un système fondé et des règles que les États-Unis ont contribué à créer, a brutalement pris fin. Le 2 avril, lors d’une cérémonie théâtrale à la Maison Blanche, le président américain Donald Trump a annoncé une série de droits de douane massifs qui affecteront la quasi-totalité des pays étrangers y compris les pays alliés des USA depuis la 2ème Guerre mondiale, les grands bénéficiaires du libre-échange à la base de la « mondialisation heureuse ».  Le président américain a détruit le système qui a donné la puissance à son pays depuis plus de 80 ans. Pour le président du Center for China and Globalization, un think-tank proche du pouvoir chinois, les États-Unis viendraient donc de « se tirer une balle dans le pied ». Il n’est pas sûr que dans la crise actuelle, la Chine ne perde rien, c’est faux au moins à court terme. A long terme, la Chine est le grand bénéficiaire, parce qu’elle sera au cœur du nouveau dispositif et influencera la définition des nouvelles règles ; car la «nouvelle mondialisation » se fera certainement avec de nouveaux acteurs et la Chine en sera le principal.

Les économies qui étaient totalement absentes au moment de la conception et de l’organisation de l’internationalisation des échanges (accords de Bretton Woods, accords sur le commerce (le GATT puis l’OMC), sont aujourd’hui, pour certaines au premier rang de la scène économique et même dominantes dans beaucoup de domaines. C’est le cas notamment de la Chine, du Mexique, du Brésil, de l’Indonésie, des Philippines, voire du Vietnam, et d’autres pays encore. Ils ont « osé » s’organiser en « Club » « les BRICS+ » en attendant d’aller plus loin. Peut-être que le moment est venu pour participer à la nouvelle configuration de la nouvelle Mondialisation (je préfère Globalisation au sens anglo-saxon).

Dans ce « désordre » économique, le capitalisme ne meurt pas avec la mondialisation actuelle, mais il se régénère en changeant les règles fondamentales de son fonctionnement. Dans ce cadre, contrairement aux pratiques politiques actuelles, le renouvellement ne peut se faire par le populisme. Il y a une expérience historique, celle du communisme, qui a échoué parce qu’il est devenu démagogique dans sa pensée et populiste dans son action. Le populisme, de droite ou de gauche, ne peut être qu’un tremplin pour passer à autre chose. Le populisme est révélateur de la crise, mais en aucun cas, un modèle de sortie de crise. Les problèmes économiques sont trop grands et ne pourront pas être résolus par des réponses identitaires, nationalistes, populistes… De même, trouver un système alternatif au capitalisme, plus équitable et éthique est illusoire ; ce dernier demeure la forme la plus élaborée de l’organisation économique.

La mondialisation n’est ni un concept, ni une idéologie, ni un modèle ; elle est le produit d’une évolution historique ; et comme une expérience, elle est marquée par les plus puissants, les plus avertis, les plus expérimentés. Comme toute évolution sociale, elle n’est ni linéaire, ni prédéterminée. Elle connait des bonds, des sauts, des ruptures, des adaptations, des crises…Aujourd’hui, la mondialisation est dans sa phase de crise structurelle voire morale. Elle se renouvellera  sur de nouvelles règles, de nouvelles normes, de nouveaux paradigmes, afin d’intégrer les évolutions qu’elle a produites  dans sa trajectoire historique. La Chine est l’exemple-type d’une intégration dans la mondialisation et le multilatéralisme, pour un pays « communiste », sous-développé et sous-industrialisé. Elle a appliqué scrupuleusement  toutes les préconisations et toutes les règles définies par les promoteurs de la Mondialisation.   

C’est en période de crise que les personnes audacieuses font de bonnes affaires, dit-on. Ceci est valable aussi pour les Etats. Les mutations en cours  peuvent être l’occasion de se positionner avantageusement dans les nouvelles configurations de l’économie mondiale. Partir avec des alliances stratégiques serait un atout. Les économies de taille moyenne, comme l’Algérie, se positionnent dans le nouvel échiquier avec d’autres économies plus fortes, dans une complémentarité structurelle et dans une démarche stratégique de long terme. Qui mieux que l’Algérie, dotée de nombreux potentiels qui n’attendent que d’être transformés en forces : un positionnement géographique exceptionnel, des ressources naturelles variées et disponibles et un capital humain en jachère. Passer du potentiel à une force réelle nécessite, bien entendu, d’autres facteurs de transformation: des institutions performantes, un leadership politique et une vision globale.

ANOUAR EL ANDALOUSSI  

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