28/04/2025
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Chronique Eco: La ré-industrialisation du pays en marche : un nouvel ordre institutionnel est nécessaire

La volonté de mettre de l’ordre dans le processus de développement industriel et de diversification du commerce extérieur a été fortement exprimée par le président de la république lors de sa rencontre avec les entrepreneurs algériens. L’annonce de porter la part de l’industrie dans le PIB à 13/14% est un défi majeur. Voilà une ambition pour la ré-industrialisation du pays, sujet que cette chronique a souvent abordé. Le diagnostic fait relève avec pertinence les disfonctionnements de la politique de promotion de l’investissement et des dispositifs de promotion des exportations. A travers ce diagnostic et les corrections annoncées par les pouvoirs publics, on peut noter qu’une politique de développement industriel ou tout autre politique ne peut se limiter aux avantages fiscaux, budgétaires et autres facilitations. Ces derniers, s’ils ne sont pas portés par un cadre institutionnel efficient et apte à évaluer les résultats ou au moins la mise en œuvre des instruments de la politique concernée, ne peuvent donner des résultats solides. Deux ans après la promulgation de la nouvelle politique de promotion de l’investissement, on observe des disfonctionnements, des défaillances, des stratégies de contournement/détournement des règles fixées (cas particulier du foncier industriel). Le problème n’est pas dans les incitations (avantages), elles sont même plus généreuses comparées à d’autres pays dans la région ; il est dans la cohérence globale de la politique d’investissement. D’abord la cohérence entre les instruments et des centres de décisions. Lapremière incohérence se situe entre le promoteur de l’investissement (politique d’incitations conduite par l’AAPI) et l’octroi du foncier industriel dont la viabilisation, l’aménagement, l’équipement en infrastructures relèvent à la fois d’une agence du foncier industriel et des Wilayas. La deuxième se trouve dans les rouages des administrations publiques où  l’on note des problèmes majeurs relevant soit des interprétations de la réglementation, soit dans des logiques de pouvoirs ; chaque administration (ministère) cherche à s’autonomiser des autres pour garder ses libertés de comportement et ses marges de manœuvres dans l’action. La notion de « Guichet Unique » promue par plusieurs textes est une fiction et au mieux un formalisme de façade vis-à-vis des usagers. N’est-il pas incongru que l’on trouve encore des problèmes de foncier en Algérie ? Ni les nouvelles zones industrielles ne sont achevées, ni les anciennes ne sont modernisées et encore moins la récupération du foncier excédentaire ou résiduel dans le secteur public ; pourtant ces questions ont été examinées et des préconisations données il y a plusieurs décennies.

C’est dans ces deux directions que le travail de réforme institutionnelle par l’ « agencification » doit se faire.

Pendant longtemps, les politiques d’industrialisation ont négligé deux facteurs qui se sont révélés décisifs dans leur mise en œuvre: l’administration et le territoire. Aujourd’hui encore, ce sont ces deux facteurs qui bloquent  la dynamique de création et de développement des entreprises. 

La volonté exprimée par le président de la république risque de rencontrer des résistances dans le microcosme administratif. Au-delà de la résistance au changement, toute naturelle chez les vivants et même parfois légitime, c’est l’incompétence, pas intrinsèque ou individuelle, mais l’incompétence collective ou même systémique qui a la capacité de nuisance la plus forte. Ainsi créer de nouvelles agences, réformer celles existantes, nommer de nouveaux dirigeants, augmenter les budgets ne sont pas une garantie de succès, loin s’en faut. Jusqu’à maintenant, les réformes du cadre institutionnel ont été souvent un jonglage entre EPIC, EPA, SPA, par un mode rodé de permutation de l’un des statuts par un autre ; le résultat a toujours été le même. Ce dont a besoin le système de production algérien dans toutes ses dimensions est un ordre institutionnel nouveau, inédit, tant dans sa dimension organisationnelle que dans celle de ressources humaines. Le système économique algérien fonctionne depuis des décennies avec les mêmes cadres logiques, les mêmes comportements et les mêmes reflexes transmis de génération à génération.

Par ailleurs, la notion d’Agence n’est pas une question de terminologie ou de sémantique, elle renvoie à un mode gestion ou de régulation de missions dans un cadre défini par des règles de performances, de responsabilité, de « redevabilité », importe peu l’appellation ; aussi le cadre juridique doit être défini en fonction des missions, des objectifs et du contexte de fonctionnement. Malheureusement, à ce jour, les possibilités d’habillage juridique sont restées figées sur les EPIC, EPA et SPA. Rien n’empêche de donner un statut inédit, même si l’administration algérienne privilégie toujours le statuquo et le formalisme sur l’efficacité et l’évolution des catégories juridiques. On donne beaucoup d’importance au contenant et peu au contenu. Libérer le cadre institutionnel et le management pour libérer l’entreprendre et l’investissement. Le fonctionnaire comme l’investisseur sont tous deux à la recherche de protection ; l’économique a besoin de liberté d’action, de flexibilité dans les règles et de mobilité du capital ; s’il est muselé, soit par la législation, soit par les comportements, ce qui est encore plus grave, il ne produit pas les effets attendus.

Libérer l’investissement, libérer le fonctionnaire et libérer les institutions sont de vrais défis pour réaliser le défi de l’industrialisation et de la diversification des exportations.

La question de l’organisation industrielle (stratégie et gestion des chaines de valeurs) devient cruciale. La juxtaposition des usines dans un espace ne constitue pas un système productif, ni une coordination en termes de relations inter firmes qui est à la base de toute politique de valorisation compétitive des chaines de valeurs et dont la finalité est de chercher les chainons manquants et les chaines à faible compétitivité. Il est temps d’introduire dans notre système industriel les formes d’organisation de type Clusters, pôles industriels ou pôles de compétitivité. Dans ces formes d’organisations industrielles, la densification des relations inter-firmes devient possible soit de manière spontanée grâce à la proximité ou l’économie des ressources, soit par des incitations publiques dans un cadre orienté « Compétitivité et chaines de valeurs ». Dans cet ordre d’idée, le président a instruit le gouvernement pour revoir l’organisation de l’exportation du ciment. Il ne faut pas exporter des produits semi-finis (clinkers) dont la composante en énergie,fortement subventionnée, est extrêmement élevée et laisser se réaliser la valeur ajoutée dans le pays de destination. Un traitement similaire doit être opéré pour l’acier et les autres produits à forte composante énergétique. L’administration et les cadres qui ont géré le système rentier ne peuvent pas transformer le fonctionnement en place pour intégrer les dimensions citées plus haut ; ils ne peuvent que reproduire le statuquo. Un grand challenge est attendu pour conduire les orientations du présidentà bon port.

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