Chronique ECO: Les avancées économiques du Sud Global, face à la puissance du Nord Global
Les crises ou les conflits, de toute nature, impactent généralement l’économie mondiale et les économies nationales. L’impact est d’autant important que les zones de conflit sont fournisseurs ou clients des marchandises. Le dernier conflit au Moyen Orient n’a pas eu un impact significatif sur l’économie mondiale, pourtant la zone concernée est un centre majeur de production des hydrocarbures et surtout une zone de transit de plus de 20% du pétrole mondial. Aucune attaque contre les installations de production, ni sur les moyens de transport et encore moins un blocus du passage d’Ormuz. Tout le monde trouve son compte, au plan économique, pour maintenir l’activité et les échanges. Certains analystes diront que c’est une guerre « arrangée » entre les USA et l’Iran ; ses objectifs ne sont pas immédiats mais lointains. L’impact sur l’économie mondiale a été marginal, sur les 12 jours de guerre, les prix du pétrole ont connu une petite hausse de 5%, vite revenus à leur niveau d’avant-guerre.
La leçon à retenir est celle des alliances au sein des deux « puissances » qui s’affrontaient, d’un côté les pays de l’Occident-OTAN et de l’autres la nouvelle organisation BRICS+. Autant dans les rangs du premier « clan » le renfort a été aligné et la solidarité et le soutien ont été largement exprimés, autant pour le second, l’Iran a subi la guerre dans une grande solitude. Plus grave encore, les membres de son Clan se sont alignés avec le Clan adverse, c’est le cas notamment des Emirats Arabes Unis et de l’Arabie Saoudite (tous deux membres des BRICS+).
Pour une comparaison pertinente, les « BRICS », de par sa vocation et ses objectifs, est à mettre en parallèle avec le G7. Les données suivantes montrent la puissance des BRICS+ (44,3%) comparée à celle des G7 (20,1%) en matière de contribution à la croissance économique mondiale.

Le Sud Global avance bien au plan économique, mais reste éclaté au plan politique et surtout géopolitique. Peut-il devenir un acteur central sans cette puissance géopolitique ? Le chemin est encore très loin pour que le Sud Global devienne une force face aux enjeux imposés par le Nord Global. Le travail sur les formes d’organisation de la coopération au sein du Club, les BRICS+, n’est même pas entamé, les divergences politiques, particulièrement au Moyen Orient (Iran-pays arabes), les différends frontaliers (Inde-Chine), et d’autres considérations idéologiques et/ou historiques retardent l’émergence des BRICS+ au statut d’acteur respectable sur la scène internationale.
Si la puissance économique est une addition d’agrégats macroéconomiques, la puissance géopolitique est une multiplication de forces militaires et de pouvoirs de nuisance dans les institutions internationales.
Hormis cet épisode de crise assez grave qui a été de courte durée, la stabilité des relations économiques et financières mondiales a fait dire au FMI dans son rapport sur la conjoncture économique mondiale (Avril 2025) qu’« Après une succession de chocs prolongés et inédits, l’économie mondiale semblait avoir retrouvé une certaine stabilité, avec des taux de croissance stables mais ternes. Toutefois, la situation évolue alors que les gouvernements du monde entier redéfinissent leurs priorités et que les incertitudes atteignent de nouveaux sommets. Les prévisions de croissance mondiale ont été sensiblement revues à la baisse par rapport à l’édition de janvier 2025 de la Mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale, en raison de l’application de droits de douane qui atteignent des niveaux jamais vus depuis un siècle et du haut niveau d’incertitude du moment. Au niveau mondial, l’inflation globale devrait diminuer légèrement plus lentement que prévu en janvier. » (Rapport sur « Perspectives de l’Economie mondiale », FMI Avril 2025). Soit. Mais a-t-on situé les responsabilités de ces incertitudes et de ces tensions qui « empoisonnent » les relations économiques internationales ? Les droits de douanes à des niveaux jamais atteints ne sont pas tombés du ciel, et pourtant le gendarme du commerce mondial (OMC) fait semblant de ne rien voir alors qu’il a été amené à intervenir et même à menacer un pays du Sud lorsqu’il a introduit quelques DAPS pour soutenir une production nationale ou atténuer un déficit de sa balance commercial.
Depuis quelques temps, les rapports des institutions de Bretton-Woods deviennent de plus en plus emprunts de langue de bois et sans reliefs. Est-ce les rouages de validation qui les poussent à ce comportement de neutralité ou plutôt la peur d’être accusés de prise de position politique vis-à-vis des Etats membres. Le monde n’a jamais été divisé et conflictuel comme en ce moment. Mais cette posture de vouloir satisfaire tout le monde conduirait fatalement à une perte de légitimité. Les institutions internationales ont vocation à poser les problèmes, à identifier les enjeux et à proposer des solutions ou du moins des voies de solutions grâce à la compétence de leurs fonctionnaires et à la distance qu’elles peuvent avoir par rapport aux acteurs sur le terrain et aux considérations de politiques internes. En cherchant la neutralité et le « politiquement correct », on risque de « lisser » trop fort les données au point de les décontextualiser. Que peut-on retenir d’une phrase comme celle qui suit : « En ce moment crucial, les pays devraient œuvrer de manière constructive pour promouvoir un environnement commercial stable et prévisible et pour faciliter la coopération internationale, tout en remédiant aux lacunes de leurs politiques et à leurs déséquilibres structurels. Cela contribuera à garantir la stabilité économique, tant sur le plan national qu’international. ». Elle est présentée comme une recommandation aux Etats membres. Il y a du bon sens général, mais point d’orientations ni en termes d’enjeux, ni en termes de politique générale pour les pays. Les pays ont-ils besoin de ce genre de recommandations génériques ?
On a l’impression que les institutions internationales (FMI, WB, OMC…) fonctionnent pour elles-mêmes, pour leur propre reproduction, ou pour leurs clients privilégiés, peut-être aussi pour la maintenance du système mis en place après la deuxième guerre mondiale, que tout le monde sait qu’il était fait pour le monde occidental développé. L’OMC n’a pas pipé mot lorsque Trump a soufflé le système de libre-échange par une distribution théâtrale des droits de douanes sur toute la planète. Pourtant elle est la garante et la promotrice de ce libre-échange.
Une refondation du système mondial est aujourd’hui plus que nécessaire et urgente. La gouvernance concerne aussi les relations internationales et leurs institutions.
ANOUAR EL ANDALOUSSI