Chronique Eco: Tirs croisés sur le Dollar : la fin du dollar ne sera pas sans conséquences
Depuis la Crise du Covid19, le mot souveraineté a été très usité dans les « éléments de langage » des décideurs politiques et dans les travaux des économistes et autres politistes. D’habitude, le souverainisme n’est pas une catégorie importante dans les terminologies des analystes économiques et encore moins chez les théoriciens de l’économie et dans les travaux universitaires. Avec la mondialisation, concept très largement usité dans la littérature économique et dans les débats publics, la souveraineté économique n’avait pas sa place dans un monde globalisé et dont l’interconnexion des économies est la clé du progrès à travers le libre échange et la privatisation.
La Covid19 a révélé les limites d’une telle dépendance des uns envers les autres. La course à l’approvionnement des marchés et des hôpitaux dans chaque pays a ouvert la voie à une reconsidération de l’internationalisation des systèmes productifs et à la recherche d’une sécurité alimentaire, sanitaire, énergétique au niveau national…. Vite, cette sécurité s’est transformée en une quête de souveraineté nationale. Un courant politique, mais aussi dans l’analyse économique, a voulu placer une ancienne approche, celle des biens communs internationaux (aussi appelé biens ou services publics mondiaux) dans le débat international pour garantir à toute la population mondiale un minimum d’alimentation et de médicaments et d’autres produits. Cette notion de biens communs n’a pas beaucoup évoluée en raison de difficultés dans sa mise en œuvre tant au plan institutionnel qu’au plan pratique (financements, répartition, accès…). Chez les décideurs politiques, seule une souveraineté complète dans certains domaines peut prémunir contre des risques majeurs, comme les épidémies, les catastrophes naturelles, les guerres et conflits dans certaines parties du monde etc. Alors, les politiques dites de souveraineté les plus usitées sont dans les domaines stratégiques suivants : Alimentation et santé, Energie et numérique. Mais le vrai problème dans cette imbrication des économies demeure le Dollar. Ce dernier est devenu hégémonique grâce aux accords de Bretton -Woods signés entre une quarantaine de pays à la fin de la deuxième guerre mondiale (1944). Les EU, grand vainqueur de cette guerre, obtiennent un statut majeur au Dollar dans tous les échanges internationaux. En contrepartie, les USA garantissaient cette monnaie par une parité avec l’Or. En 1971, les EU (la FED) avaient décidé de manière unilatérale la suspension de la convertibilité du dollar en Or ; en d’autres termes, le Dollar n’est plus garanti par l’Or détenu par la Banque centrale américaine (FED). Le Dollar va subir les fluctuations des marchés monétaires, mais il est déjà bien installé comme monnaie de transactions et monnaie de réserves. L’économie américaine est déjà puissante et pouvait lui assurer une force par rapport aux autres monnaies et surtout lui conférer une confiance accrue de la part des autres pays et du système financier mondiale.
Aujourd’hui, si des tirs croisés sont orientés sur le Dollar dans le cadre de ces politiques de recherche de souveraineté, c’est parce que l’économie américaine n’est plus ce qu’elle était et elle déjà devancée par l’économie chinoise. Sur un autre registre, en 1972/73, le Dollar a reçu un soutien inestimable de la part de l’Arabie Saoudite, grâce à un accord sur 50 ans sur la facturation en Dollar de toutes les transactions sur les hydrocarbures. Cet accord est arrivé à son terme et n’a pas été renouvelé.
Par ailleurs, le bloc occidental (+ le Japon) organisé autour des EU est lui aussi fragilisé au plan économique. L’économie indienne est déjà supérieure à l’économie japonaise. Entre 2002 et 2020 le Dollar a perdu presque 20% des volumes de transactions au profit des autres monnaies comme l’Euro et certaines monnaies nationales de plus en plus utilisées dans les échanges bilatéraux (Rouble, Wuhan, Roupie…). Il est vrai que le Dollar demeure dominant comme monnaie de réserve, grâce principalement, aux bons du Trésor américain (La Chine détient plus 700 Mds de $ sur les 3400 Mds émis).
L’émergence d’une organisation alternative, Les BRICS, visant une réduction de la puissance du Dollar dans les échanges internationaux grâce aux accords bilatéraux sur l’utilisation des monnaies nationales a pris de l’importance et devient plus puissante économiquement que le G7. Cette puissance économique des BRICS est réelle : la Chine réalise près de 20% du PIB mondial (en PPA), L’inde, autour de 7%, alors que les EU ne réalisent que 15%. Sans compter les autres membres, la Chine et l’Inde ont plus du ¼ de l’économie mondiale. Avec la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud, on peut frôler les 35%. Au plan financier, les BRICS se dotent d’une Banque, dont l’actionnariat et les actions vont au-delà de la sphère des pays membres). La NDB (Nouvelle Banque de développement) se veut être une alternative à la Banque mondiale pour les pays du Sud. Elle est dotée d’un capital de 100 Mds de $ (déclaré) et ses engagements ont atteint 30 Mds USD, soit la moitié des engagements de la WB, qui a un capital de 21 Mds de $. Enfin, le mBridge, une plate forme qui facilite les transactions transfrontalières grâce à des accords entre banques centrales des pays adhérents, se prépare à devenir un système alternatif au système américain de transactions financières internationales (Swift). Le mBridge n’est pas encore une monnaie, mais il a des attributs d’une monnaie de transaction, pas d’une monnaie de réserve pour le moment. Il faudra, bien entendu, régler, au préalable, le problème de l’Unité de compte qui met en relation les différentes monnaies nationales, parce que, au final, on revient vers une monnaie qui existe effectivement pour régler les soldes des opérations importations/exportations constatés à la fin d’une période convenue. Pour le moment, les BRICS+ n’ont pas un projet de monnaie spécifique alternative au Dollar ; mais travaillent pour contourner le Dollar par l’utilisation des monnaies nationales ou des monnaies internationales autres que le Dollar. Le système construit sur le Dollar donne des avantages immenses aux USA, c’est pourquoi, le processus de dé-dollarisation ne sera pas sans conséquences. Certains analystes parlent d’une possible 3ème Guerre mondiale à cause de ce processus de dé-dollarisation. Pour l’immédiat, la dé-dollarisation est un objectif, mais sa concrétisation n’est pas pour demain.
ANOUAR EL ANDALOUSSI