25/05/2025
ANALYSE

L’Audit légal garant de la fiabilité de l’information comptable

Par Dr ABBAR Mohammed (*)

La comptabilité est l’une des branches de l’économie appliquée qui a comme responsabilité de traduire et de présenter les différentes activités et résultats des entreprises en informations financières.

De nombreux économistes s’accordent à dire que tout développement basé sur une libéralisation économique et une ouverture vers l’internationale devra créer un besoin de transparence des états financiers des entreprises.

Cette transparence des informations financières demeure le souci majeur des différentes économies quelles que soient leurs institutions. Aux fin de protéger ces informations, il est institué une profession libérale, à savoir, l’audit légal.

C’est ainsi que le professionnel concerné ou commissaire aux comptes est devenu garant des informations comptables et par voie de conséquence un des éléments fondamentaux du développement durable.

En effet, la confiance dans l’information financière assure l’investisseur et la croissance est possible. Partant des définitions de Humphrey1 et Power2 , on peut dire que l’audit peut être considéré comme un mécanisme social, producteur de confiance, en ce sens qu’il est un processus conçu pour estimer la crédibilité de l’information contenue dans les états financiers de l’entreprise.

Ainsi, les commissaires aux comptes constituent un maillon important de la chaine de création de confiance qui lie les entreprises aux bailleurs de fonds et tiers que sont les actionnaires, les investisseurs, les créanciers, les clients, de même que les pouvoirs publics.

La mission de contrôle légale qui leur est dévolue concerne la prévention et la répression des fraudes 3 , ainsi que la réduction de l’asymétrie d’information entre les parties prenantes des entreprises, notamment, la réduction des coûts d’agence.

Selon Stiglitz 4 , une information tronquée suite à des manipulations comptables constitue le germe de sa destruction, c’est pourquoi, plus l’entreprise accorde de l’importance aux orientations et aux remarques du commissaire aux comptes, plus elle cherchera un audit légal de qualité.

Définition

L’audit est défini comme étant l’examen auquel procède un professionnel compétent et indépendant en vue d’exprimer une opinion motivée sur la régularité et la sincérité des informations. Il est, aussi, l’examen effectué par un professionnel indépendant, de l’information financière émanent d’une entité à but lucratif ou non, quelles que soient sa taille ou sa forme juridique 5.

L’audit englobe, ainsi, l’ensemble des procédures et techniques de contrôle qui constituent l’examen approfondi par un professionnel et reposant sur une méthodologie. C’est, donc, l’opinion qui est la résultante des contrôles ou encore le but essentiel de l’audit. En effet, l’auditeur exprime son opinion sur les informations communiquées par une entreprise.

Il le fait par référence aux principes comptables et normes d’audit généralement admis. Selon le Dictionnaire Larousse, l’auditeur désigne une «personne qui écoute un discours, une émission radiophonique, un cours ». Le dictionnaire précise qu’en droit, l’auditeur désigne « le magistrat chargé de préparer les décisions que prendront ses supérieurs dans certaines juridictions (Conseil d’Etat, Cour des Comptes) » ; quant à l’auditeur de justice, il désigne le «futur magistrat».

Historique

Dans l’antique Babylone, le code d’Hammourabi avait défini des lois commerciales et sociales, mentionné l’obligation d’utiliser un plan de compte et faisait respecter un certain nombre de normes de présentation pour que le support d’information et de communication financière soit fiable.

Dès le IIIe siècle avant J.C., les gouverneurs romains ont nommé des questeurs chargés de contrôler les comptabilités de toutes les provinces. Ces derniers rendaient compte oralement de leur mission devant une assemblée constituée d’auditeurs, et c’est de cette époque que provient l’origine du terme AUDIT, dérivé du latin AUDIRE qui veut dire « écouter ».

Aux USA, et à partir de 1900, les banquiers américains exigeaient de leurs clients que leurs bilans soient certifiés.

En 1930, la bourse de New York crée la «Securities and Exchange Commission», (SEC), qui a exigé des audits pour chaque entreprise cotée en bourse. Plus avant, en France, la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés anonymes a institué un contrôle légal des comptes, origine du commissariat aux comptes actuel. En 1935, les pouvoirs du commissaire aux comptes ont été élargis; ces derniers devaient révéler au procureur de la république les faits délictueux dont ils ont eu connaissance.

En 1939, le scandale McKesson et Robbins résultant de présentations fallacieuses de bilans aboutit à la publication d’un document relatif à l’extension des procédures d’audit, et dans la période d’après-guerre, la nécessité de promouvoir le marché financier pour soutenir l’expansion économique a fait suite à une réforme importante du commissariat aux comptes.

La nouvelle profession des commissaires aux comptes est née avec le décret n°69-810 du 12 août 1969 qui a été pris en application de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales. Plus près de nous, la loi Sarbanes-Oxley6 (SOX), aux Etats Unis et la loi de sécurité financière en France (01août 2003) ont été les conséquences des scandales financiers 7 qui ont éclaboussé les états unis et l’Europe entre 2001 et 2002.

A la suite de quoi, plusieurs mesures ont été adoptées en vue de renforcer l’arsenal réglementaire et juridique des contrôles légaux.

En Algérie, la profession comptable qui était régie par l’ordonnance n°71- 72 du 29 décembre 1971avait institué le conseil supérieur de la comptabilité, placé sous la tutelle du ministère des finances. Au titre des réformes économiques lancées depuis 1988, la profession comptable a bénéficié d’une nouvelle réorganisation instituée par la loi n°91-08 du 27 avril 1991 qui a accordé une autonomie totale à la profession comptable à travers, notamment, la création d’un ordre national regroupant les trois corps professionnels. Il est à noter que la réforme de la comptabilité et de l’audit s’inscrit dans la déclaration du NEPAD8 par laquelle les chefs d’Etats de l’Unité Africaine, dont l’Algérie, affichèrent leur volonté d’adopter pour leurs pays respectifs les référentiels internationaux, considérés comme une exigence minimale, convaincus que les codes et les normes, sont de nature à promouvoir l’ efficacité du marché, à combattre les gaspillages, à consolider la démocratie et à encourager les flux financiers privés.

C’est pourquoi, l’Algérie s’est engagée dans un vaste programme de réforme de la comptabilité d’entreprise et de l’Etat, avec respectivement le Système Comptable Financier 9 inspiré du référentiel comptable international IAS-IFRS et la mise en œuvre en parallèle d’une adaptation des normes IPSAS. Cette réforme de la comptabilité, a été suivie par une restructuration des professionnelles de la comptabilité 10et par l’installation, le 22 octobre 2010, des membres du conseil national de la comptabilité.

Les missions du commissaire aux comptes

La loi n°10-01 et les textes y afférent sont investi le commissaire aux comptes d’un rôle de surveillance et d’alerte en cas de faits de nature à compromettre la continuité d’exploitation11 qu’il aurait relevés à l’occasion de l’exercice de sa mission12. Le CAC doit signaler aux dirigeants et à l’assemblée générale ou à l’organe délibérant habilité, toute insuffisance de nature à compromettre la continuité d’exploitation de l’entreprise dont il a pu avoir connaissance, comme la perte des ¾ de son capital social, lorsqu’il est relevé une utilisation irrationnelle et abusive des ressources ou que la trésorerie accuse un déséquilibre compromettant.

En outre, et conformément à la loi n°05-01 13ainsi que l’ordonnance n°12-0214, le commissaire aux comptes doit répondre à l’obligation relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Dans son rapport d’audit intérim, le commissaire aux comptes doit également donner des conseils à la direction de l’entreprise au sujet de son organisation dans le but d’améliorer le contrôle interne et d’éviter au maximum les fraudes et les erreurs.

Enfin, et à l’occasion de certaines opérations de la société (modification ou transformation de la nature juridique de la société, modification et ou ouverture du capital, modification de l’objet social ou du statut juridique de la société), le commissaire aux comptes intervient de façon particulière et ponctuelle en dressant un rapport spécial.

Le Commissaire Aux Comptes (CAC) exerce, une profession libérale réglementée et dépend de la Chambre Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) 15 , régie par la loi n° 10-01 et le décret n° 11-26 qui fixe sa composition, ses attributions et les règles de son fonctionnement. Elle regroupe l’ensemble des professionnels régulièrement inscrits.

Le commissaire aux comptes est désigné conformément aux articles 600 et 609 du code de commerce pour un mandat de trois ans(03) renouvelable une fois.

Cette désignation est régie par le décret exécutif n°11-3216 .Dans le cadre de sa mission, le commissaire aux comptes a pour objectif de s’assurer que les procédures existantes limitent les risques d’erreur et de fraudes et produisent une information financière et comptable reflétant l’image fidèle de la situation patrimoniale et financière et du résultat à la date de clôture. La désignation des commissaires aux comptes obéit au décret exécutif 17 , cité plus haut, qui fixe les modalités de ces désignations sur la base d’un cahier de charges, formalisé et normalisé par la chambre nationale des commissaires aux comptes et la commission de normalisation du conseil national de la comptabilité.

Dans un délai maximum d’un mois après la clôture du dernier exercice du mandat du ou des commissaires aux comptes, le conseil d’administration, le directoire, le gérant ou l’organe habilité sont tenus d’élaborer un cahier des charges18 en prévision de la désignation par l’assemblée générale du ou des commissaires aux comptes.

Le Commissaire Aux Comptes et l’asymétrie de l’information

A la suite des nombreuses crises et des scandales financiers, tant en Europe qu’aux Etats Unis, le contrôle légal est devenu domaine de loi, car il fallait protéger les investisseurs et leur redonner confiance à travers une censure légale des comptes exercée par les membres d’un corps professionnel indépendant. En Algérie, la réforme de l’économie nationale qui tend à donner à l’information financière et comptable toute son importance, a imposé le commissariat aux comptes comme gardien de la légalité et garant de la fiabilité et de la sincérité de cette information.

A cet effet, l’article 10 bis du code de commerce (ordonnance 96-27 du 9 décembre 1996) fait obligation aux personnes morales commerçantes « procéder ou de faire procéder à la vérification et à la certification de leurs comptes et bilans dans les formes légales requises « ; il en est de même pour les entreprises publiques locales et économiques 19 .

En matière d’asymétrie d’information, le dirigeant dispose, contrairement aux actionnaires, d’informations comptables et financières complètes(états financiers, rapports de gestion, rapport d’audit interne etc ). Cette asymétrie dans la distribution de l’information associée à une divergence des intérêts donnent naissance au ‘’problème d’agence’’.

Les effets néfastes d’une information totalement asymétrique ont été démontrés pour la première fois par Akerlof (1970). Par conséquent, sur un plan économique et en l’absence de facteur réglementaire, le recours aux services d’un auditeur légal externe s’avère bénéfique.

Ce dernier participe à la réduction de l’asymétrie informationnelle en minimisant ce qu’on appelle la ‘’perte résiduelle’’ (partie implicite des coûts d’agence due au comportement opportuniste des gestionnaires (Jensen et Meckling, 1976). De son côté, Pigé (1998, 2000) remarque qu’entre administrateurs et actionnaires, l’asymétrie concerne les états financiers, et c’est alors, la certification des commissaires aux comptes qui véhicule un degré d’assurance raisonnable sur la fiabilité de l’information comptable. Compte tenu de l’existence d’une certaine asymétrie d’information entre les actionnaires qui délèguent aux dirigeants la responsabilité de gérer l’entreprise, on peut dire que l’intervention du commissaire aux comptes intervient pour atténuer ladite asymétrie et contribuer à résoudre les conflits d’agence, considérés comme entrave majeure au développement et à la pérennité des entreprises.

Le rôle répressif, par l’obligation de révéler au procureur de la république , qui pèse sur le commissaire aux comptes trouve sa source dans l’article 830 du code de commerce qui punit d’emprisonnement et / ou tout commissaire aux comptes qui aura sciemment, donné ou confirmé des informations mensongères sur la situation de la société ou qui n’aura pas révélé au procureur de la république, les faits délictueux dont il aura eu connaissance. En outre, le manquement à cette obligation, implique des sanctions disciplinaires, à savoir, l’avertissement, le blâme, la suspension temporaire, pour une durée maximale de six (6) mois et la radiation du tableau.

De l’indépendance du commissaire Aux Comptes

L’indépendance de l’auditeur est un sujet d’intérêt croissant depuis les affaires scandaleuses d’Enron, Wordlcom, etc. Comme le soulignent Fortin et Martel (1997), il est admis que l’auditeur, dans sa fonction d’attestation des états financiers, doit agir en fonction des intérêts, souvent contradictoires, de divers groupes d’utilisateurs (les créanciers, les actionnaires ou les agences de réglementation). En en rédigeant son rapport, l’auditeur doit veiller à ce que les investisseurs disposent d’une information suffisante pour apprécier le risque et les perspectives de gain, porter un jugement sur la pertinence de l’information à divulguer et tenir compte de l’intérêt du public.

La loi, les règlements et la déontologie, font une obligation, à l’auditeur, d’être indépendant. Il doit, alors, conserver une attitude d’esprit qui lui permet d’effectuer sa mission avec intégrité et objectivité, mais aussi être libre de lien qui pourrait être interprété comme constituant une entrave à cette intégrité et objectivité.

En conséquence, la compétence de l’auditeur est une condition nécessaire à son indépendance. Sa décision d’être dépendant ou indépendant, sur le plan matériel, moral, intellectuel, ne peut être saisie que si sa compétence lui permet de comprendre de manière satisfaisante l’ensemble de ses travaux d’audit. Le contrôle technique devient absolument nécessaire pour pouvoir formuler un jugement sur les comptes. Compétence et indépendance sont ainsi, des variables liées entre elles et parfois même opposées.

Il faut, ainsi rechercher l’équilibre pour garantir et améliorer la qualité de l’audit. Il s’en suit, que l’indépendance, l’objectivité, l’éthique et le professionnalisme, constituent des éléments fondamentaux, pour garantir et améliorer la qualité de l’audit légal. Malheureusement, et depuis l’avènement de la loi 01-10, il a été constaté que certains cahiers des charges élaborés dans le cadre des appels d’appel d’offre ou de consultations pour désigner un commissaire aux comptes, comportent, paradoxalement des titres ou diplômes sans rapport avec la mission de contrôle légal et visent à altérer la saine compétition.

L’introduction d’autres exigences ou critères distinctifs conduisent, très probablement, à un choix orienté voir tendancieux. Pire encore, le fait de définir le programme d’audit, le calendrier de la mission et l’enchère des honoraires ne font que nuire à l’indépendance du commissaire aux comptes. En effet, la concurrence déloyale et la vente du service à vil prix, encouragent la médiocrité et nuisent à l’intégrité des professionnels compétents. En conclusion, plus les commissaires aux comptes et les membres du conseil d’administration sont indépendants, plus les missions d’audit légal seront de meilleures qualités.

(*) Commissaire Aux Comptes et Maître de Conférence à l’Université Tahri Mohamed Béchar

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