Le capital humain en Algérie, parlons-en.
Dans ma carrière d’universitaire et de consultant dans le monde économique, j’ai eu l’occasion de donner des conférences mais aussi d’assister à d’autres et surtout d’intervenir dans les entreprises et les organisations publiques et privées. Souvent on entend dire que l’Algérie, parmi ses nombreux atouts pour faire du développement, une ressource humaine abondante et de qualité. C’est certainement vrai, et on ne peut pas opposer à ce discours un avis contraire, vu le taux de scolarisation au cycle fondamental (proche de 100%), le nombre de candidats au baccalauréat (plus de 700 000 élèves chaque année, à peu près le même nombre qu’en France pour une population une fois et demi plus grande, des cohortes d’étudiants de plus en plus nombreuses, 300.000 sortants en moyenne chaque année sur un effectif de 1.7 millions d’étudiants). Ceci du côté de l’offre, comme disent les économistes. Du côté de la demande, les avis des employeurs nationaux ou étrangers et hors caméras, le discours change complètement ; le déficit en qualifications et en compétences est énorme et l’entreprise ou l’organisme, sont contraints de « requalifier » les nouvelles recrues. On va me dire que ceci est tout à fait normal et c’est une pratique courante même dans les pays dotés des meilleurs systèmes éducatifs, soit. L’employeur doit former aux postes de travail, doit offrir des programmes de mise à niveau sur une technologie, doit assurer la formation continue pour la réalisation d’un projet, d’un programme, d’une innovation ou tout simplement pour une mise à jour des connaissances pratiques et des savoirs techniques ou technologiques. Le problème est ailleurs. La nouvelle recrue diplômée est complètement désarmée même pour une tâche secondaire. Elle a au mieux mémorisé quelques « théories », règles, formules, et qui ne lui servent pas, parce que désincarnées et on a jamais appris aux étudiants de mettre tous ces outils dans une conception, une ingénierie, un projet, un modèle de décision ou de résolution de problèmes. La différence entre un ingénieur et un diplômé dans un champ disciplinaire scientifique (chimie, physique, biologie, géologie…) est justement, que le premier est formé pour combiner des savoirs et des connaissances pratiques pour concevoir, modéliser, finalisé dans une perspective de conduire un projet, résoudre un problème…faire de l’ingénierie. Cette différence n’existe plus dans nos programmes de formation à quelques nuances près, dans des écoles supérieures anciennes. Les stages sont réduits à des visites, les mémoires et PFE sont réduits à une description ou un copié collé de travaux datant de plusieurs décennies. Ceci dans les domaines des sciences et des technologies où il existe encore des ilots de compétences et où on peut tirer quelques pépites dans certaines disciplines, qui sont d’ailleurs aspirées par le départ à l’étranger à la sortie de la formation. La situation est encore préoccupante dans les sciences sociales et humaines. Ici on ne trouve même pas une quelconque utilité au produit de la formation dans ces disciplines. A la faible rigueur scientifique et méthodologique dans ces disciplines s’ajoute l’expression imprécise d’une demande de profils ou de qualifications appropriées (excepté quelques profilstrès techniques). On ne sait pas à quoi servirait un diplômé en sciences humaines et sociales :un économiste, un sociologue, un politiste… Non pas que ces savoirs ne sont pas utiles à l’entreprise, au contraire, leurs apports sont décisives et même critiques. Mais les connaissances acquises et les savoirs enseignés sont très sommaires et disparates qu’il est impossible d’en faire un profil de compétences pratiques utile pour l’organisation. Pour preuve, dans les entreprises on utilise ces profils génériques de manière indifférenciée entre les disciplines. En sciences sociales et humaines, on apprend une culture générale de la discipline et quelques techniques formelles sans validations empiriques.
La responsabilité de cette situation n’incombe pas seulement au système de formation supérieure (offre), elle est aussi du côté des employeurs où l’organisation du travail, la définition des tâches, la faible introduction de la technologie dans les process de production et de gestion, l’absence de projet d’innovation et surtout le manque de vision à long terme sur la compétitivité, l’internationalisation, la sophistication des outils (IA par ex.). La demande n’est pas exigeante, l’offre suivra. Une réflexion sérieuse sur l’enseignement et la formation supérieure s’impose aujourd’hui.
L’expérience du système LMD mérite un bilan objectif, sans concessions, et sans parti prissur qui a piloté, comment ça été fait et pourquoi c’est ainsi ? On se retrouve avec une spécialisation pointue dès la licence, alors que la formation fondamentale dans un domaine est très importante pour la polyvalence et la mobilité professionnelle. La formation de techniciens dans un domaine précis ou à la maitrise de techniques doit revenir au système de la formation professionnelle. Aujourd’hui, les modèles les plus pertinents sont ceux qui forment à la multi et interdisciplinarité tellement les objets à analyser et à traiter sont complexes, multiformes et interdépendants les uns des autres. La spécialisation interviendra en Master. Alors il faut écouter les deux sons de cloche, celui de l’offre et celui de la demande pour tirer des conclusions objectives. De grâce ne politisons pas l’enseignement et formation, l’avenir de la Nation se construit dans ces domaines.
ANOUAR EL ANDALOUSSI