L’eau, source de vie, devenue source de conflits internationaux
Depuis toujours, l’eau, comme l’air d’ailleurs, a été l’un des premiers biens communs (selon les définitions modernes), consommée selon les besoins et gratuitement. Mais depuis le siècle dernier, l’eau est devenue une ressource de plus en plus rare et a pris le statut de bien économique. Sa production (au moins son transport et son traitement) est devenue coûteuse et par conséquent soumise à la loi du marché, même si les Etats interviennent pour fixer des tarifs publics et rémunérer, au moins partiellement, les exploitants sur les budgets publics, comme on le fait pour d’autres biens et services publics (énergie, transports, éducation, santé). Plus que tous les autres services publics, l’eau est Vitale pour la vie sur terre. « L’eau est le sang qui fait vivre notre planète. C’est un élément vital pour tous les animaux et les végétaux. Elle contribue à la circulation du carbone et des nutriments dans l’air et les sols. Elle régule le climat. Depuis des millénaires, le cycle de l’eau, avec les réserves de ce précieux liquide qu’il nous apporte, assure des conditions propices au développement de l’humanité sur Terre… »
Il n y a aucun substitut à l’eau soit pour la consommation directe, soit pour l’agriculture. Alors, le problème est donc de trouver non des substituts, mais de nouvelles sources (ressources) d’eau. On commence déjà à distinguer l’eau bleue et l’eau verte. Comment augmenter les ressources dans ces deux composantes ? On est passé de l’eau de sources à l’eau de surface (captation de toutes les sources : forage, barrages, rivières, …) et maintenant l’eau de mer (dessalement). On commence déjà à explorer (même à exploiter) les ressources d’eau verte, présente dans l’ai, la biomasse et les sols. Selon des estimations, l’eau Bleue représente 35% de toute l’eau douce, alors que l’eau Verte en représente les 65%. Cette question a fait l’objet d’un plaidoyer publié par le magazine britannique Nature et signé par plusieurs économistes et scientifiques (voir traduction publiée par l’hebdomadaire français « Le Courrier International » No 1710 du 10 au 16 août 2023). Les auteurs plaident que « parce qu’elle est vitale aux écosystèmes et aux êtres humains, l’eau douce doit être considérée comme un bien commun universel et échapper à la loi du marché ». Déjà que de nombreux conflits (des guerres en préparation) sont déclarés entre des pays sur le partage des eaux fluviales (Ethiopie-Egypte (le Nil), Turquie-Syrie-Irak (l’Euphrate et le Tigre), Israël-Jordanie-Palestine (le Jourdan) pour ne citer que les cas proches. Alors qu’est-ce que ça va être lorsqu’on touche à la capture ou la captation ou la collecte de l’eau Verte ? Les frontières dans les airs ne sont pas définies. Des guerres à cause des prédations par les plus forts de cette nouvelle ressource sont en perspective.
Les rédacteurs du Plaidoyer notent : « Pendant ce temps, plus de 2 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable, un enfant meurt toutes les 17 secondes d’une maladie d’origine hydrique, et 3 milliards d’individus se trouvent dans une situation d’insécurité alimentaire liée au manque d’eau. Autant Il faut que les États réévaluent le rôle et la valeur économique de l’eau verte.» Ils suggèrent en substance que la solution est dans l’eau verte, présente dans l’air, la biomasse et les sols. Cette eau n’appartient à personne, ni à un pays, ni à une entreprise ni à un individu. « Il n’existe pas un seul pays sur Terre dont plus de la moitié de l’humidité vient de l’intérieur de ses frontières. Même dans les plus grands pays, les précipitations dépendent de l’eau qui s’évapore ailleurs. »
L’Eau, un besoin local et souvent individuel, mais un problème régional, national et même mondial.
Au niveau national, l’Algérie fait partie des régions à fort stress hydrique. De plus l’Algérie n’a aucun fleuve ou lac qui viendraient comme ressources additionnelles pour satisfaire une demande de plus en plus grande. L’Algérie dispose d’un grand réservoir, les immenses réserves de l’Albien, mais qui peuvent poser des problèmes d’exploitation, soit en terme hydrogéologique, problème de renouvellement ou non, en termes de coût économique et enfin en termes de relations avec les pays partageant ce réservoir (Tunisie, Libye). De surface ou souterraine, nous devons entièrement revoir la valeur que nous accordons à l’eau, mais aussi repenser la gouvernance et la gestion de cette ressource vitale, depuis l’échelle locale jusqu’à l’échelle mondiale.
Le dessalement de l’eau de mer et l’éventualité de l’exploitation de nappes souterraines (albien) sont pour le moment des solutions acceptables et nécessaires. Ce sont, comme toujours, des solutions du côté de l’offre ; ne faut-il pas agir aussi du côté de la demande. Le coût économique et financier de ces solutions est extrêmement élevé. Oui pour le soutien du prix de l’eau destinée à l’usage humain ou agricole, mais non pour financer des usages profitables ou des gaspillages. Il y a des systèmes de gouvernance pour faire la part des choses. Pour commencer, et c’est le propre de la gouvernance, peut-on calculer aujourd’hui le coût financier, le coût économique et même le coût social de l’eau, selon les différentes sources de production (barrage, forage, dessalement, albien…) ?Il est légitime et juste de subventionner fortement le prix de l’eau destinée à la consommation humaine et animale et même pour l’agriculture, mais au-delà de ces besoins, dont il faut en évaluer le niveau, l’usager de l’eau doit payer le prix coûtant. Revoir les tranches de facturation et appliquer des tarifs très différenciés pour chaque tranche. Sans ce calcul économique à ce niveau et une tarification économique, aucun progrès dans la résolution du problème de l’eau n’est possible. La mesure est la pierre angulaire de toute politique publique et de la concrétisation de la justice sociale et de la solidarité nationale. Sans mesure, pas de progrès.
ANOUAR EL ANDALOUSSI