05/02/2025
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Chronique Eco: Des enjeux internationaux, des défis nationaux

La conjoncture internationale sera très complexe et très difficile pour toutes les économies ; ce qui attise les tensions et décourage la coopération et les solidarités. Chacun cherche à se protéger et à se ménager des espaces d’évolution. Les enjeux internationaux ont été largement exposés et commentés au cours des dernières semaines. Les principaux enjeux sont liés à la confrontation Etats Unis-Chine, à la crise au Moyen-Orient, à la guerre russo-ukrainienne ; d’autres encore vont se greffer à ceux-ci autour du commerce mondial, de l’énergie, des matières premières, de l’immigration, des microprocesseurs….. La dégradation économique de l’Europe aggrave les tensions entre les deux superpuissants.  En effet, le déclin industriel de l’Europe est constaté, l’UE paie chère son énergie alors que l’attrait des Etats-Unis pour les investisseurs et la compétitivité chinoise compliquent le redressement industriel du Vieux Continent. Les investisseurs délocalisent vers les USA et l’Asie. L’annonce de nouvelles taxations douanières américaines encourage ce mouvement. Le retour du gaz russe est très attendu après la fin de la guerre en Ukraine.  Les BRICS+ ne sont pas encore prêts, ni au plan économique, même s’ils représentent déjà 35 à 38% du PIB mondial (avec la Chine), ni au plan politique pour affronter l’hégémonie américaine sur l’énergie et le système financier et monétaire mondial. Le Dollar est un instrument très puissant dans la régulation de l’économie mondiale. L’énergie sera encore un facteur décisif dans les relations économiques. Les marchés de l’énergie connaitront des évolutions inattendues aussi bien sur l’offre que sur la demande. La recomposition au Moyen-Orient et la probable fin de la guerre en Ukraine seront les facteurs de cette évolution. Le monde passera certainement son « Peak Oil » et l’énergie fossile dominante sera, pour longtemps encore, le gaz naturel. Plus critiques seront les métaux nécessaires à la transition énergétique, à commencer par le cuivre qui sera la matière première la plus stratégique. La crise de Taiwan demeure active et peut évoluer vers une radicalisation des parties. Il se trouve que ce petit pays fournit plus de 70% des microprocesseurs au monde entier (USA, Chine, Europe…).  La question alimentaire est un autre enjeu pour l’humanité ; la croissance démographique inégalement répartie (un Mds d’habitants additionnels en Afrique en 2050, alors que le Nord et l’Asie de l’Est voient leur population stagner sinon diminuer). La gouvernance mondiale aussi a connu des limites lorsqu’on observe le fonctionnement de l’OMC et du système de Bretton-Woots. Ce sont quelques enjeux extérieurs immédiats et quasi certains pour l’année 2025 et qui affectent de manière directe ou indirecte l’économie algérienne.

Quels défis intérieurs devons-nous, nous imposer pour faire face à ces enjeux ? Les réponses (qui sont les défis) sont nécessairement le fait des acteurs économiques nationaux et de l’Etat. Ce dernier doit jouer un rôle majeur dans la nouvelle politique économique. Deux faiblesses, devenues structurelles, de l’économie algérienne doivent être prioritaires dans l’agenda des politiques publiques. La première faiblesse est liée au niveau de développement  industriel qui demeure faible malgré les efforts consentis au cours des dernières années ; aucune expérience de développement n’a été faite sans la forte contribution du secteur industriel et en particulier, dans notre cas,  sa composante manufacturière. La seconde, intimement liée à la première, est liée à la faible compétitivité de notre économie, soit pour faire face à la concurrence extérieure, soit pour placer nos produits à l’étranger.

Défi 1 : La ré-industrialisation du pays : c’est une priorité absolue. Il est encore utile de rappeler que l’industrie ne représente que 5% du PIB et avec ce niveau ni exportation, ni substitution aux importations. La diversification des exportations n’a de sens que par rapport à la diversification industrielle ; quoi exporter si le système productif est incapable non seulement de produire des quantités importantes et diversifiés mais aussi d’innover et d’être compétitif. La ré-industrialisation du pays est donc un impératif de premier plan et doit s’appuyer, sans se concentrer, sur la valorisation des ressources naturelles, comme la pétrochimie, les engrais, par la valorisation du gaz naturel, les métaux rares et les matières premières en général. Le futur industriel algérien doit viser deux directions : une diversification pour une substitution aux importations et une amorce à l’exportation  et une valorisation des ressources naturelles visant la transition énergétique, la transformation numérique et la sécurité alimentaire. 

Défi 2 : Le défi de la sécurité alimentaire. Ici aussi il faut passer à une agriculture moderne pour gagner en rendements. Les expériences des exploitations au Grand Sud sont probantes tant par la mécanisation (on ne peut pas faire autrement) que par les rendements ; mais attention, ces résultats sont obtenus au prix de subventions massives, de défiscalisation, de gratuité des ressources naturelles (sol et eau en particulier). Or ce modèle ne peut être reproduit indéfiniment ; il arrivera le jour où ces conditions ne seront pas toutes réunies. L’agriculture au Nord ne se modernise pas suffisamment et demeure caractérisée par des rendements faibles ou moyens dans les cultures stratégiques. Des potentiels énormes existent au Nord et dans les Hauts Plateaux, il reste à traiter les problèmes liés à la sécheresse et à la dégradation des sols par des solutions scientifiques. On n’investit pas assez dans ce domaine (recherche agronomique, hydraulique, climatique…) et pourtant l’avenir est dans la recherche scientifique pour faire face aux enjeux climatiques et géopolitique  (semences, machinisme, génétique,  eau, normes …). Les succès de l’agriculture saharienne ne doivent pas nous détourner du développement de l’agriculture au Nord et dans les Hauts-Plateaux ; les potentiels sont énormes et les options de transfert de l’eau doivent être explorées et évaluées. 

Défi 3 : Le défi de l’économie numérique. Notre retard est constaté dans ce domaine. Il ne s’agit pas de la numérisation, qui est une action utile et même salutaire pour améliorer la gouvernance et surtout perfectionner le service public. L’économie numérique est plus large, car elle constitue une activité économique en soi. Au-delà des services offerts par la numérisation, l’économie numérique développe ses activités dans les entreprises, produit ses outils et ses systèmes, invente les solutions numériques, et exporte ses services.

Défi 4 : L’assainissement des finances publiques. On a tendance à considérer les déficits publics comme secondaires tant qu’ils sont internes et n’impliquent pas des rapports avec l’extérieur. Cette approche est dangereuse car par glissements annuels successifs et cumulatifs et face à une épargne limitée, le Trésor va atteindre rapidement l’épuisement de ses ressources auprès de la Banque d’Algérie, qui sera, à son tout, dans l’impossibilité de juguler l’inflation. De même les charges des intérêts seront un autre fardeau pour le budget de l’Etat ; elles viennent grever la dépense publique au détriment des autres besoins fondamentaux. L’assainissement des finances publiques est un véritable défi si l’on veut aller plus loin dans les réformes financières.

Défi 5 : la création massive des emplois décents et permanents. C’est le véritable défi de l’économie algérienne. Le chômage en général et celui des jeunes (souvent diplômés) est inquiétant et doit trouver des solutions à moyen terme. Un chômeur est une charge pour l’économie et pour la société. Il ne produit pas, il ne cotise pas au système de protection sociale ; il peut facilement basculer vers la sous qualification, la paupérisation, la délinquance, et aussi l’immigration illégale. Des politiques d’emploi très volontaristes doivent être mises en place très rapidement. C’est encore dans l’industrie et les services que la création d’emplois en grand nombre est possible. Aujourd’hui les emplois créés dans les services sont des emplois sans qualification ; le défi est de passer à des services de niveau supérieur et à forte valeur ajoutée intégrant des technologies, des savoir-faire et apportant des solutions réelles aux entreprises, aux administrations et aux particuliers ; ces services doivent bénéficier d’un soutien de l’Etat et des simplifications dans leur lancement en grand nombre.

ANOUAR EL ANDALOUSSI

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