21/12/2024
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Chronique Eco: Les défis du prochain mandat présidentiel (P2)

2. La restructuration du secteur public économique et la diversification économique

La précédente chronique a été consacrée au redimensionnement de la sphère publique stricto sensu ; la présente sera consacrée à une autre dimension de la sphère publique, celle dite du secteur public marchand. La taille de celui-ci est aussi le résultat d’un processus historique induit par le modèle d’industrialisation de l’après indépendance. Il était tout à fait légitime que l’Etat, face à la situation économique désastreuse laissée par la colonisation, s’érige en entrepreneur pour bâtir une industrie à partir du néant ou presque (quelques usines ici ou là dans les grandes villes du pays : Alger, Oran, Constantine, Annaba…). Ce modèle a permis donc d’ériger des entreprises publiques dans toutes les filières industrielles. Les différentes opérations de restructuration, entamées à partir de 1982, dans le cadre d’une nouvelle politique économique, (ouverture sur l’investissement privé et l’instauration de l’économie de marché) mais la véritable réforme du secteur public économique a été celle de 1988 qui, tout en maintenant la propriété publique sur les actifs des entreprises, codifie la séparation entre l’Etat actionnaire et l’Etat puissance publique et organise la commercialité des EPE. Cette séparation a apporté une clarification conceptuelle et juridique dans les rapports entre l’Etat et l’entreprise publique, mais dans les faits la confusion persiste jusqu’à aujourd’hui. En effet, l’Etat intervient toujours dans la vie de l’entreprise faisant fi souvent des règles du code de commerce auquel sont soumises ces entreprises. Les interventions directes sont surtout constatées dans la nomination des dirigeants, dans la gestion des investissements et même du cycle d’exploitation. Les récurrentes interventions du Trésor en sont l’illustration. L’Etat doit intervenir dans le domaine économique, mais il doit garder une certaine distance pour demeurer l’Etat de toutes les entreprises. A contrario, l’Etat propriétaire a tous les droits sur ses entreprises, mais à charge pour les administrations publiques agissant en qualité de propriétaires mandatés, de respecter le droit qui régit ces entreprises, en l’occurrence, le code de commerce. Les interventions désordonnées et parfois discriminantes ont remis sur la table la question de la séparation des fonctions de l’Etat (propriétaire et puissance publique). L’Etat propriétaire doit utiliser les instruments du droit privé pour gérer ses entreprises et pour cela il doit respecter les organes d’administration, de contrôle et de gestion définis par ce droit. Intervenir en dehors  de ce cadre, crée des distorsions sur les marchés (règles de la concurrence), des discriminations entre secteur public et secteur privé, de l’éviction dans l’accès à certaines ressources publiques.

La question de l’autonomie de l’EPE, pierre angulaire des réformes de 1988, est toujours posée, car sa restriction remet en cause le choix des réformes et aggrave la confusion dans l’évaluation des performances des EPE, des responsabilités des dirigeants et surtout de l’impact sur le fonctionnement du système économique dans son ensemble (subventions, fiscalité, accès au financement public, distorsion sur les marchés…) ; en effet, on peut juger la qualité de la gestion des EPE et la responsabilité sur les résultats si l’administration interfère dans cette gestion.

 Deux questions fondamentales doivent être traitées et réglées dans les meilleurs délais si l’on veut développer l’investissement et la production : la question de la gouvernance des EPE et la question de la place du secteur public économique dans l’économie nationale ; doit-on continuer à fausser la concurrence sur les marchés des biens et services par l’octroi de marchés publics par la règle du gré à gré, par les subventions de toute nature décidées par le trésor, en opérant régulièrement des assainissements financiers des EPE. Sur ces problèmes de financement des entreprises publiques en difficulté, la règle universelle veut que le propriétaire doive intervenir par le haut du Bilan, c’est-à-dire en augmentant le capital ou en opérations sur le Compte courant des actionnaires.

Depuis quelques années, les EPE ont été soumises à une tutelle qui ne dit pas nom, lorsqu’on les placées sous la supervision de ministères sectoriels. Cette supervision est vite transformée en tutelle effective.

(PS. De nombreuses études sur le SPM (secteur public marchand) ont été réalisées ces dernières années et elles méritent d’être exploitées ; nous citerons les plus récentes : Etude EY financée par la BAD (2018) ; l’étude PADICA (2023) et le rapport CNESE (2024))

Le secteur public économique doit être un acteur majeur dans la politique de ré industrialisation du pays. Mais pour exercer ce rôle, il faut qu’il se modernise dans sa technologie, sa gouvernance et son management. Ce dernier vise non seulement les principes et les règles du management, mais surtout la qualité de la ressource humaine à y déployer. Contrairement aux discours ambiants sur ce sujet, l’Algérie manque de cadres compétents en management ; la qualité des managers n’est pas dans la possession de diplômes mais dans les compétences éprouvées par la formation et l’exercice de fonctions défiantes. L’université algérienne ne forme pas des managers et le monde économique n’offre pas ce cadre défiant dans la conduite des opérations complexes.

Si le discours sur la diversification économique et surtout des exportations est très en vogue ces dernières années (tout à fait légitime), le préalable à cette démarche de diversification économique est d’abord la ré-industrialisation du pays. Au cours des 20 dernières années l’Algérie s’est désindustrialisée de manière relative (part de la VA industrielle dans le PIB) et  surtout de manière absolue (part de la VA industrielle par tête d’habitant). Il est vrai que de nouveaux investissements s’installent chaque année et la dernière loi sur l’investissement (2022) a produit un déclic chez les investisseurs potentiels nationaux et étrangers. Donc, la diversification économique passe d’abord par la ré-industrialisation du pays. Les pays ayant réussi une diversification vertueuse (pays d’Asie) ont d’abord effectué un rattrapage en matière d’industrie manufacturière avant de s’ouvrir plus franchement à la concurrence internationale. Les stratégies de substitution et d’exportation n’ont pas été alternatives l’une à l’autre ou d’exclusion mutuelle mais complémentaires. La gouvernance économique (point faible de l’Algérie) dans ces pays s’est pliée à cet objectif stratégique de rattrapage aux plans global et sectoriel, selon le stade de maturité atteint par telle ou telle filière industrielle. Ceci signifie que les ressources publiques (crédits, fonciers, incitations fiscales…) ont été combinées et mis en place en fonction des préférences sectorielles et non de manière universelle.  La ré-industrialisation du pays requiert un effort considérable. Porter la VA de l’industrie à 8% du PIB en 2030, soit près de 10% du PIB HH nécessite une montée en puissance du secteur de l’industrie au cours des 5 prochaines années avec une croissance moyenne dans l’industrie de 15 à 20%.  Le défi est surtout dans le développement des industries manufacturières ; elles ont un pouvoir de transformation structurelle et surtout elles permettent la création massive d’emplois pour absorber un tant soit peu la main d’œuvre au chômage actuellement.

Au final, le redimensionnement de la sphère publique (qui comprend le secteur public marchand), la restructuration du SPM et la ré-industrialisation du pays constituent des instruments cohérents entre eux et complémentaires ; les segmenter, risque de n’aboutir à aucun résultat, car continuer la politique d’assainissement des EPE qui touche principalement le bas du bilan (cycle d’exploitation) ne mettra jamais l’entreprise publique comme facteur de ré-industrialisation et de diversification.  De même, une politique de diversification des exportations n’a  aucune chance de donner des résultats si l’industrie ne se développe pas et de manière massive au cours des 5 prochaines années. L’industrie manufacturière est un puissant outil de transformation structurelle, c’est-à-dire, de diversification.  Industrialisation et diversification des exportations sont les deux faces d’une même pièce ; l’une agit sur l’autre et l’une exprime la nature de l’autre. Une nouvelle politique d’industrialisation et de diversification, qui viendrait renforcer la politique d’investissement (Loi 2022), est nécessaire et doit exprimer la volonté de l’Etat dans ce domaine par des instruments de soutiens et d’incitations quelles qu’en soient les formes, mais devraient se faire selon des critères serrés et même discriminants pour favoriser telles ou telles filières ou branches de l’industrie préalablement analysée et sectionnées. L’Etat devrait obtenir en contrepartie des avantages accordés des offres de substitutions aux importations et des offres d’exportation. Cette relation d’échange entre l’Etat et l’entreprise (avantages accordés contre des offres des entreprises bénéficiaires) donnerait lieu à des contrats de performance périodiques, évalués et éventuellement renouvelés. Ces problèmes sont de vrais enjeux et leur traitement doit être aussi un vrai défi qui ne peut être réduit à une disposition dans une loi de finance ou dans une loi de finance complémentaire.

Prochaine chronique : 3. Les secteurs porteurs et les options de redressement.

ANOUAR EL ANDALOUSSI

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