INFLATION ET ALIMENTATION: Au pays de la bouffe, la grande paupérisation
L’inflation sur l’alimentation n’épargne personne. Si elle accélère la paupérisation de nos
concitoyens et dégrade leur alimentation, elle met en exergue la vulnérabilité de notre
modèle agricole. Face à cette situation, la timidité des réponses du gouvernement n’est pas
en mesure de protéger les Français alors même que des propositions plus ambitieuses
mêlant les enjeux de transition du système alimentaire, d’accès digne à l’alimentation et de
juste rémunération des paysans tendent à émerger.
Inflation sur l’alimentation : double peine pour les plus pauvres
Après le beurre, enlèvera-t-on les épinards de l’assiette ? Mois après mois, le passage en
caisse devient plus douloureux. Cela n’aura échappé à personne, la plupart des produits de
consommation connaissent une forte inflation. Concernant les produits alimentaires, elle est
encore plus importante. En effet, selon l’INSEE, si en moyenne annuelle sur 2022 la hausse
des prix à la consommation a atteint 5,2 %, pour les produits alimentaires elle a été de
12,1 %.
Néanmoins, ce chiffre atténue une situation plus violente puisqu’il invisibilise le fait que,
pour les plus modestes, cette inflation est encore plus élevée. En effet, les produits ayant le
plus augmenté sont les produits premiers prix et les marques distributeurs, ces derniers
ayant proportionnellement un coût matière première plus élevé. Selon l’IRI, sur un an, si
l’inflation à la demande a atteint 12,59 % pour l’alimentation (et le petit bazar), elle n’est
« que » de 10,80 % pour les marques nationales (Danone, Herta, Andros…) là où elle grimpe
à 16,57 % pour les marques distributeurs (Marque Repère, Bien vu…) et culmine à 18,27 %
pour les produits premiers prix (Eco +, Top budget…). Ainsi, les consommateurs les plus
pauvres qui étaient déjà contraints avant la crise d’acheter des produits bas de gamme sont
davantage touchés par la hausse des prix. Une double peine.
Face à l’inflation, si les consommateurs trinquent, certains industriels soumis à des hausses
de coûts de production essayent de tricher. La « réduflaction » (ou shrinkflation en anglais)
désigne la stratégie commerciale par laquelle les industriels réduisent la quantité de produits
sans diminuer le prix de vente. Une pratique malhonnête qui n’est pas nouvelle comme le
montrait en septembre dernier l’ONG Foodwatch. L’association révélait par exemple que la
portion du célèbre fromage industriel Kiri est passée de 20 grammes à 18 grammes tandis
que son prix au kilo a augmenté de 11 %. Ces accusations de « shrinklation » ont été
confirmées par une enquête de la répression des fraudes diligentée par la ministre du
commerce Olivia Grégoire.
Un pays qui se paupérise
L’inflation sur l’alimentation se traduit par une dégradation de la qualité de l’alimentation
d’un grand nombre de nos concitoyens. Face à la hausse des dépenses contraintes et pré-
engagées (loyers, factures, essence, forfait internet…), l’alimentation joue comme une
variable d’ajustement dans des budgets de plus en plus serrés. En effet, alors qu’il est
difficile de réduire son loyer, il est possible d’économiser sur son budget alimentation en
prenant la marque du « dessous » ou en achetant moins de viande, de fromage ou de
légumes frais et davantage de pâtes, de riz, de patates.
Cette inflation accompagne et accélère la paupérisation de pans entiers de la population.
Partout dans le pays, les associations d’aide alimentaire témoignent d’une demande
croissante alors même que la quantité et la qualité des denrées qu’elles reçoivent des
grandes surfaces se contractent.
Partout dans le pays, les associations d’aide alimentaire témoignent d’une demande
croissante alors même que la quantité et la qualité des denrées qu’elles reçoivent des
grandes surfaces se contractent.
Outre des files de plus en plus longues à l’aide alimentaire, d’autres signaux témoignent de
la paupérisation du pays en matière alimentaire. La hausse des vols à l’étalage (+10 % en un
an) dans les rayons des supermarchés en est un. L’annonce par Carrefour de l’ouverture en
France d’un magasin Atacadão en est un autre. Importés du Brésil, ces magasins-entrepôts
proposent un nombre de références réduit et des gros volumes avec une mise en rayon
sommaire en échange de prix cassés.
Si la descente en qualité de l’alimentation des Français aura probablement des
conséquences négatives sur la santé, cette inflation aura peut-être également des effets
néfastes pour l’environnement.
L’inflation, frein ou accélérateur de la transition agricole et alimentaire ?
Alors qu’il connaissait une croissance soutenue – passant de 4 à 12 milliards d’euros de
volume de ventes entre 2010 et 2020 – le marché du bio, déjà fragilisé par le covid, a connu
en 2022 un réel décrochage avec une baisse de 7 à 10 % des ventes. En période d’inflation et
de tension sur les budgets, le bio semble pâtir de son image de produits plus onéreux. Les
grandes surfaces auraient leur part de responsabilité en réduisant la taille des rayons
consacrés aux produits bio pour augmenter celle des produits low cost.
Néanmoins, la hausse des prix n’est pas la seule coupable des difficultés rencontrées par le
bio. En effet, sur le banc des accusés nous pouvons également citer la concurrence d’autres
labels trompant les consommateurs tel que le label « Haute Valeur Environnementale »
(HVE). Doté d’un cahier des charges très peu exigeant, en témoigne le rapport d’évaluation
de l’Office français de la biodiversité qui appelle à réviser entièrement son référentiel, ce
label est pourtant soutenu et mis en avant par le gouvernement. Accusé de greenwashing et
de duper le consommateur, un collectif d’associations et d’organisations professionnelles
(FNAB, UFC Que Choisir, Agir pour l’environnement…) demande au Conseil d’Etat son
interdiction. La préférence grandissante des consommateurs pour les produits locaux plutôt
que pour les produits bio, alors même que le caractère local ne garantit malheureusement
pas la qualité environnementale des produits, est également à citer.
Les grandes surfaces réduisent la taille des rayons consacrés aux produits bio pour
augmenter celle des produits low cost.
Si l’inflation met en difficulté les mangeurs, elle affecte également les agriculteurs et
souligne la fragilité de notre modèle agricole. En effet, cette inflation est une conséquence
de la sur-dépendance de notre système agro-industriel à l’énergie. Un rapport
de l’inspection générale des finances publié en novembre 2022 explique ainsi que l’origine
de l’inflation sur l’alimentation est à rechercher du côté de « la hausse du coût des intrants
utilisés tout au long de la chaîne alimentaire ».
Par exemple, l’azote utilisé dans la production des engrais, connaît depuis plusieurs mois une
augmentation constante, augmentation initiée avant même l’irruption de la guerre en
Ukraine. Ainsi, entre avril 2021 et avril 2022, selon le cabinet Agritel, le prix de la tonne de
solution azotée est passé de 230 € à 845 €. Mais la hausse des coûts de production pour les
agriculteurs ne s’arrête pas là : hangars chauffés, congélation, importation en bateau de
céréales pour l’alimentation animale, carburants pour les tracteurs connaissent des hausses
de prix… Ainsi, entre février 2021 et février 2022, le prix des intrants (engrais, semences,
carburants, aliments du bétail) a augmenté de 20,5 % en France. Le carton, utilisé pour
l’emballage connaît lui aussi d’importantes hausses de prix causées par la tension générée
par le développement de la vente en ligne.
Si cette période d’inflation et de crise de l’énergie est difficile pour les mangeurs, elle l’est
également pour les agriculteurs qui voient leurs coûts de production augmenter. Assez
logiquement, ce sont les systèmes de production les plus dépendants aux intrants qui sont
les plus fragilisés par la hausse des coûts de production. Ces systèmes de production sont
aussi souvent ceux à l’empreinte écologique et carbone la plus lourde et ils rémunèrent mal
le travail des paysans. A l’inverse, les systèmes de production qualifiés « d’économes et
d’autonomes » semblent davantage résilients et rémunérateurs, comme en témoignent les
analyses de l’observatoire technico-économique du Réseau Civam.
Par ailleurs, si les agriculteurs trinquent, certains acteurs ultra-dominants du secteur agricole
vivent très bien cette période de crise et engendrent des profits records rappelant les
surprofits réalisés par quelques grandes compagnies comme Total. Les quatres géants de la
négoce du céréales, les « ABCD » (pour Archer-Daniels-Midland, Bunge, Cargill et Louis-
Dreyfus) qui contrôlent 70 % à 90 % du marché mondial des céréales ont ainsi vu leurs
profits exploser entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022 (+17 % pour
Bunge, +23 % pour Cargill et jusqu’à… +80 % pour Louis-Dreyfus).
Protéger les consommateurs et les paysans
Face à cette situation, le gouvernement se montre incapable de protéger l’assiette des
Français. A la difficulté croissante de nos compatriotes à accéder à une alimentation de
qualité, le gouvernement se contente de débloquer des fonds – insuffisants – pour les
associations d’aide alimentaire (60 millions d’euros pour un « fonds aide alimentaire
durable », 10 millions d’euros pour la précarité alimentaire étudiante…). Or, financer l’aide
alimentaire ne peut suffire puisque cela revient à financer un soutien de dernier recours, le
dernier rempart avant la faim. Bref, il s’agit là d’ un pansement sur une blessure non traitée.
La restauration collective, et en particulier la restauration scolaire, sont pourtant de
véritables leviers d’accès à une alimentation de qualité pour des millions d’enfants.
Malheureusement, celle-ci est mise en difficulté par la hausse des coûts d’un côté et
l’austérité imposée par l’État sur les collectivités de l’autre. Si les cantines des grandes villes
et des communes les plus riches ou celles ayant des approvisionnements plus locaux
semblent mieux résister, les autres sont contraintes d’adopter diverses stratégies pour
contenir la hausse des coûts dont certaines particulièrement pénalisantes. Ainsi, si des
collectivités ont décidé d’augmenter le prix du repas comme pour les collégiens de l’Yonne,
d’autres collectivités ont décidé de supprimer des éléments du menu. Ainsi, les enfants des
écoles maternelles d’Aubergenville (11 000 habitants, Yvelines) se retrouvent privés d’entrée
tandis qu’a été supprimé – selon les jours – l’entrée, le fromage ou le dessert des primaires
de Caudebec-lès-Elbeuf en Seine Maritime.
Plus ambitieuse et issue des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, la
promesse d’Emmanuel Macron de créer un chèque alimentation durable se fait toujours
attendre. Bien que limitée, la proposition de chèque alimentation aurait au moins eu le
mérite de soutenir le budget alimentation de millions de Français et aurait traduit une
certaine volonté du gouvernement sur cette question d’accès à l’alimentation.
Dans l’idéologie au pouvoir, l’action publique et les services publics se retrouvent remplacés
par Super U et Carrefour.
La dernière proposition du gouvernement de créer un panier anti-inflation témoigne
cruellement de ce manque de volonté gouvernementale. Refusant une politique proactive et
nécessairement coûteuse, le gouvernement préfère s’en remettre à la bonne volonté des
grandes enseignes de supermarchés. Dans l’idéologie au pouvoir, l’action publique et les
services publics se retrouvent remplacés par Super U et Carrefour.
De l’autre côté de la chaîne, concernant la politique agricole, pour protéger les gens et les
paysans et accroître la résilience alimentaire de notre pays, la logique voudrait que le
gouvernement cherche à développer des systèmes de production économes et autonomes,
moins gourmands en intrants et moins sensibles aux perturbations internationales. Une voie
trop peu suivie par le gouvernement qui préfère mettre des moyens pour accompagner la
robotisation des champs et des campagnes.
Pourtant, la situation appelle à des solutions plus ambitieuses et systémiques pour garantir à
tous les citoyens un droit à une alimentation choisie. Un collectif d’organisations travaille
ainsi à dessiner une proposition de sécurité sociale de l’alimentation (SSA). L’objectif de
cette proposition est de reprendre le contrôle de notre assiette en étendant la démocratie
sur les questions d’alimentation. L’idée consiste à intégrer l’alimentation dans le régime
général de la Sécurité sociale en respectant trois principes : l’universalité de l’accès, le
financement par la cotisation et le conventionnement démocratique, c’est-à-dire
l’établissement de la liste des produits pris en charge en fonction des lieux de production, de
transformation et de distribution. Sur le modèle de la carte vitale qui permet à tous les
citoyens de réaliser des dépenses de santé, une carte alimentation serait distribuée à tous
les citoyens pour leur permettre d’acheter des produits conventionnés. Une proposition qui
progresse : dans son dernier avis, le Conseil national de l’alimentation (CNA) appelle ainsi à
son expérimentation.
SOURCE lvsl.fr