04/05/2025
ACTUANALYSE

«La souveraineté alimentaire n’a pas de prix, mais elle a un coût »

Pr Mohamed Cherif Belmihoub, membre du GRFI

Invité à la conférence de presse marquant le lancement de la 23ᵉ édition du SIPSA-Filaha 2025, le Pr Mohamed Cherif Belmihoub, membre du conseil du Groupe de Réflexion FilahaInnov (GRFI), a plaidé en faveur d’une stratégie nationale cohérente pour bâtir une souveraineté alimentaire durable. Un objectif ambitieux, mais qui, selon lui, ne saurait être atteint sans en assumer le prix :« La souveraineté n’a pas de prix, mais elle a un coût ».

Aujourd’hui encore, 50 à 60 % des calories consommées par les Algériens sont importées, a rappelé le Pr Belmihoub. Cette dépendance, longtemps masquée par la rente pétrolière, devient insoutenable dans un monde de plus en plus instable.« Oui, nous avons les dollars pour importer. Mais encore faut-il que ceux qui détiennent les denrées veuillent bien nous vendre ».L’universitaire a mis en garde contre une vision passive de la sécurité alimentaire, qui ne reposerait que sur le commerce extérieur. Pour lui, la souveraineté alimentaire doit être une priorité stratégique, au même titre que la souveraineté énergétique ou numérique.

Dans son intervention, Pr Belmihoub a souligné que l’agriculture représente aujourd’hui 16 à 18 % du produit intérieur brut, soit trois fois plus que l’industrie manufacturière qui plafonne à 5 %. «L’agriculture est devenue la deuxième force économique du pays après les hydrocarbures. Et pourtant, elle reste peu valorisée technologiquement ». Il a estimé que près de 2 millions de travailleurs, permanents ou saisonniers, vivent du secteur, un chiffre qui devrait augmenter à mesure que les politiques d’aménagement du territoire s’intensifient. Pour lui, l’agriculture est aussi un levier de stabilisation sociale et de rééquilibrage spatial, notamment dans les vastes régions sahariennes.

L’intervenant a dénoncé toutefois les dérives d’une agriculture du Sud peu encadrée et souvent gaspilleuse. Il raconte une anecdote marquante : un investisseur du Nord ayant laissé un puits couler durant trois mois dans le désert, simplement parce que le coût de l’arrêter était supérieur à celui de le laisser ouvert.« Ce n’est pas normal. Ce genre de pratiques doit cesser ».Il a alerté ainsi sur la surexploitation de ressources non renouvelables, eau, sol, énergie, qui menace la pérennité du modèle agricole algérien.« Quand on exploite une nappe phréatique comme on extrait du pétrole, on prépare l’assèchement futur ».

L’un des points clés de son plaidoyer : la recherche appliquée. Pour le Pr Belmihoub, l’Algérie a longtemps séparé les chercheurs des praticiens agricoles, créant un fossé entre connaissance et action.« Il faut que la recherche se fasse là où elle est utile : sur le terrain. La science dans les tiroirs ne sert à rien ».Il a plaidé pour une intégration directe entre universités, centres de recherche agronomique et exploitations agricoles. Cela implique également une réorientation partielle des subventions, souvent mal allouées, vers des projets de recherche concrets.

Alors que le discours anti-subvention commence à se faire entendre dans certains cercles, Pr Belmihoub prend position sans ambiguïté : « Oui, l’agriculture est subventionnée. Et c’est normal. Peut-on développer le Grand Sud sans l’appui de l’État ? Non ». Il a appelé à un transfert intelligent des subventions, non pas à leur suppression, et met en garde contre les idéologies économiques qui négligent la dimension stratégique du secteur.« On ne retire pas la subvention. On la redirige ».

Enfin, il est revenu sur un sujet qui lui tient à cœur : l’aménagement du territoire. Selon lui, l’Algérie, en raison de ses déséquilibres spatiaux et de la concentration urbaine, est probablement l’un des pays qui a le plus besoin d’une stratégie territoriale durable.« L’aménagement, c’est simplement mettre en rapport l’homme et son espace. Et aujourd’hui, l’agriculture peut être cet outil ».

Par M. A.

Publicité

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *