L’agriculture, Une philosophie et un mode de vie à l’algérienne
L’agriculture est certes un mode de production qui contribue à la sécurité alimentaire de la population. Mais aussi, l’agriculture a été un refuge pendant la colonisation et est devenue un mode de vie pour les Algériens.
Préoccupé par la survie physique et psychique, l’Algérien s’est souvent impliqué, généralement en famille, dans des cultures vivrières multiples, conduites de manière individuelle. L’organisation collective était alors perçue comme une menace par la puissance coloniale qui a donc forcé l’isolement des paysans. Cela a donné forme à une identité qui est proche de celles des nomades du désert.
Cette identité était soutenue par les représentations que la religion musulmane enseignait. Avec le temps, il est permis de penser que l’Algérien a développé une personnalité proche de celle des nomades musulmans des temps anciens, notamment ceux de l’Arabie et de l’Asie centrale. Toutefois, manquant d’espace de liberté, parce que ses déplacements étaient contraints, l’Algérien a progressivement développé des rapports fusionnels avec la terre, la production agricole, la nature difficile de son milieu. Le champ et le travail agricole peuvent donc être associés aux chemins spirituels et aux représentations philosophiques de la population dans son ensemble. On peut affirmer que pour la plupart des Algériens, l’agriculture suscite une émotion semblable et complémentaire à celle de la philosophie religieuse de l’Islam.
Le paysan algérien est, de ce point de vue-là, comparable au paysan russe du début de la première moitié du 20e siècle. C’est sans doute pour cela aussi que les œuvres artistiques importantes pour l’Algérien sont souvent liées à ce mode de vie frugal et profondément philosophique. Les plus grands romanciers algériens ont souvent pris le rapport à la terre, aux animaux et à la nature comme cadre de leurs inspirations. On pourrait dire la même chose de la musique et des œuvres picturales.
Terriblement affectés par les vents irrésistibles de la modernité occidentale, les élites algériennes ont eu tendance à s’éloigner de cette histoire fondatrice de la personnalité du pays et de consacrer ainsi la dévalorisation des acteurs clés de notre patrimoine philosophique, les paysans.
Cela peut expliquer au moins en partie l’exode des jeunes des zones rurales et la dégradation du milieu dans lequel vivent les paysans. Ce milieu est aujourd’hui l’image et le symbole des échecs de l’évolution vers un renouveau national. La pauvreté y est visible et importante. Elle s’accompagne des toutes les autres manifestations de la dégradation sociale, l’isolement et parfois le désespoir. La renaissance de la citoyenneté algérienne et celle du pays commencent donc avec celle d’une agriculture et d’une ruralité à la mesure des rêves de grandeur algérienne.
La lutte pour le développement économique et social peut être résumée comme une lutte contre la pauvreté. Nulle part en Algérie, elle n’est plus visible que dans le milieu rural. L’accent sur l’agriculture pourrait être le fer de lance du développement industriel et économique, voire technologique, en général. Ceci a été expérimenté par de nombreux pays où l’agriculture avait des dimensions affectives et idéelles semblables, comme en Chine ou en Asie, en général.
Dans la grande expérimentation chinoise, la lutte contre la pauvreté rurale peut être considérée comme l’explication la plus convaincante du dynamisme de l’économie de ce pays. Elle a permis de faire le lien entre toutes les forces disponibles (notamment entreprises et villages ruraux) dans un formidable effort d’innovation, de créativité, de renouveau d’une société qui paraissait bloquée.
En Algérie, la renaissance d’une agriculture innovante, enracinée dans ses meilleures traditions, est le principal mécanisme de la lutte contre la pauvreté. Elle permettra la renaissance du milieu rural en particulier et probablement de l’ensemble de la nation. Ce grand effort ne doit pas être considéré comme une charité vers un secteur qui en a besoin, mais comme un besoin essentiel pour l’émancipation de l’ensemble de la société et le vecteur du développement des autres secteurs.
Finalement, il n’est pas exagéré de dire que notre société est troublée. Elle est déséquilibrée par un éloignement peu raisonnable des valeurs traditionnelles. Ce trouble peut être source de divisions et, comme l’ont expérimenté d’autres nations, de crises identitaires qui mènent à la perte de sens et à l’autodestruction. Une action décisive vers des besoins vitaux, comme le développement durable pour la souveraineté et la sécurité alimentaire, serait le chemin vers une société équilibrée, solidaire, fière de ses réalisations et confiante dans ses capacités à construire le futur.
Source : Agriculture DZ 2022