Chronique Eco »L’agriculture algérienne : une évaluation est nécessaire pour aller plus loin. »
Les investissements, les rendements, la valeur de l’Eau et le Coût de l’énergie, les subventions, les prix, les spéculateurs, l’écologie, ce sont des questions centrales pour l’avenir de l’agriculture algérienne et en particulier son segment saharien.

La production agricole, dans ses différents compartiments (céréales, agrumes, maraichage, fruits,) a connu un développement prodigieux au cours des dernières années. L’apport de l’agriculture saharienne est très conséquent dans la construction d’une sécurité alimentaire interne. Les perspectives de son développement sont immenses. De nombreuses cultures ont permis une autosuffisance, c’est le cas notamment des cultures maraichères, des agrumes, et à un degré moindre les fruits hors agrumes. Les productions de lait et de viandes demeurent encore insuffisantes. La filière élevage souffre encore de sa faible organisation, de sa fragilité structurelle et de sa vulnérabilité liée aux maladies et autres parasites ; mais aussi aux comportements des éleveurs, des maquignons, de la disponibilité de l’alimentation et surtout des prix et de la désorganisation de la distribution des produits subventionnés qui a donné lieu à une spéculation et même à une corruption. Les rapports et les études sur cette filière se focalisent particulièrement sur l’importation des animaux et des aliments ; les questions d’organisation de la filière autour des principaux acteurs, des territoires sont souvent occultées. C’est le cas par exemple des terres de parcours, de la génétique, des centres de reproduction, de la formation des éleveurs etc. La céréaliculture est l’autre filière qui connait des déficits par rapport à la demande depuis l’indépendance. Le blé dur et l’orge occupent les 2/3 des superficies et tendent vers une autosuffisance, alors que le blé tendre peine à améliorer ses rendements et enregistre des déficits énormes compensés par des importations massives (plus de deux Mds de U.S $).
L’agriculture algérienne, à l’instar des autres pays, est passée au stade d’une agriculture « industrialisée » c’est à dire sans paysans ; toutefois, il demeure des segments exploités par des paysans sur des superficies de plus en plus petites. Ce passage n’a pas été accompagné d’une véritable modernisation par la mécanisation et par l’utilisation des procédés techniques et technologiques. Autant l’agriculture dans le Sud est très mécanisée, celle du Nord demeure parfois artisanale. L’agriculture saharienne est une agriculture sans paysans et sans sol.
In fine, l’Algérie dispose aujourd’hui de deux systèmes agricoles : une agriculture au Nord encore très diversifiée par son organisation et par ses facteurs de production et une agriculture au Sud très moderne, fortement mécanisée et sur de grandes superficies. Elle est différente par son système d’exploitation (saisonnalité), ses systèmes d’irrigation et par ses rendements physiques et financiers. Les deux systèmes sont aujourd’hui très complémentaires. Nous n’avons pas exploité toutes les potentialités de l’agriculture du Nord ; il y a encore des réserves de productivité si un effort de modernisation par la mécanisation et la technologie est entrepris.
Globalement, les rendements sont déjà élevés, comparés au Nord et progressent lentement. Les résultats financiers des exploitations sont appréciables. L’évaluation de la productivité de l’agriculture algérienne est encore controversée : pour les uns (la banque mondiale en particulier), la productivité est en progression continue ; pour les autres (opérateurs et observateurs), cette progression est maquillée par la sous-évaluation des consommations intermédiaires (subventions massives), il y a donc quelque part une rente de situation ou des subventions excessives.
Cette évolution fort appréciable de l’agriculture algérienne ne dispense pas de débattre de l’avenir de ses deux segments : au Nord et au Sud et même un troisième segment, celui des plateaux qui a souvent été écarté des débats.
Au nord, la situation est maitrisée par une longue histoire des pratiques et par des données naturelles connues. La modernisation est le défi principal pour les années à venir : des superficies exploitables de plus en plus réduites et une main d’œuvre de moins en moins disponible et qualifiée.
Dans les années 80 et 90 un débat sérieux a été engagé sur la question : « Faut-il transférer l’Eau du Sud vers les Hauts plateaux ou exploiter cette Eau sur place sur un sol qui n’en est pas un, c’est-à-dire qui n’a aucune matière organique et par conséquent il faut faire l’apport chimique nécessaire (fertilisants) pour le rendre fertile et productif. Sur les Hauts plateaux les sols ne sont pas très riches mais contiennent des matières organiques. L’apport en fertilisants sera beaucoup moindre, alors que l’apport en Eau sera conséquent. Au final, la question est purement économique : combien rapporte un hectare exploité et à quel coût dans le Sud et dans les Hauts plateaux ? Vite, par paresse intellectuelle ou par calcul politique, en tout cas pas par calcul économique, l’option Hauts plateaux est écartée.
Aujourd’hui, après plus de 40 ans de pratiques agricoles dans le grand Sud, le moment est peut-être venu pour faire le bilan sur tous les plans : consommation d’Eau, rendements, impacts sur l’aménagement du territoire, impacts écologiques, Subventions… en somme est –il opportun et possible de poursuivre cette aventure et quel en serait le coût global (économique, écologique, humain, …). Reconsidérer l’option des Hauts plateaux à la lumière des conclusions précédentes serait un autre exercice à faire sur l’ensemble des points évoqués plus haut (coûts économiques liés aux transferts de l’Eau, coût d’exploitation, impacts sur l’AT, …)
Les deux principaux facteurs de production du système agricole sont l’Eau et le Sol qui se trouvent tous deux des ressources naturelles épuisables. Si l’un manquait, l’autre se neutraliserait. Il est impossible de transférer un sol, plutôt on le remplace par des matières chimiques, alors que l’Eau peut être transférée vers un autre sol éloigné. Les questions centrales se situent au-delà des productions, elles sont au niveau de la durabilité des ressources, de la protection des écosystèmes, de la proximité des lieux de consommation…
La question de l’Eau doit être au centre de la réflexion, au Nord, au Sud et aux Hauts plateaux. La relocalisation récente en Algérie de l’organisme chargé de l’observation du système aquifère (précédemment pris en charge par l’OSS : Observatoire du Sahara septentrional) est une décision stratégique importante. Son repositionnement sur les trois pays concernés par le réservoir albien est judicieux pour ne pas impliquer des pays non concernés directement. Le nouvel organisme est dénommé : Mécanisme de Concertation du Système Aquifère du Sahara Septentrional (SASS) Algérie- Libye-Tunisie.
ANOUAR EL ANDALOUSSI