21/12/2024
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Chronique Eco: Les défis du prochain mandat présidentiel. (P4)

4. Protéger les plus vulnérables : la protection sociale, l’emploi, le soutien des prix et la lutte contre la fracture territoriale :

Protéger les plus faibles au cours des cinq prochaines années passe par quatre actions prioritaires : le service public, la protection sociale proprement dite, le soutien des prix des produits de base et l’emploi. Le logement est une autre forme de protection des plus faibles.

  • Le service public : l’action est  certainement la plus importante et elle consiste à améliorer la qualité des services publics de base. L’éducation primaire, les soins de santé de base, les services administratifs, ont beaucoup progressé en quantité au cours des 20 dernières années, mais la population se plaint de leur qualité médiocre et la plainte s’amplifie à mesure que l’on s’éloigne d’Alger et des grandes métropoles régionales. Il y a réellement une fracture territoriale en matière de service public, et ce n’est pas faute de moyens financiers ou d’absence de programmes d’équipement ; le problème est dans la gestion du service public, dans l’équité d’accès et la qualité intrinsèque de ce dernier.
  • La formation et l’emploi : La formation professionnelle n’attire pas les jeunes ; pourtant les besoins en personnels qualifiés sont importants. A contrario, l’université attire tous les bacheliers au point où le système est hypertrophié. Trop de diplômés de l’enseignement supérieur par rapport aux besoins de l’économie et de la société. Beaucoup de sortants de l’université, particulièrement ceux des sciences sociales, sont chauffeurs de taxi, cafetier, marchand-ambulants. Quel immense gaspillage social et budgétaire. Beaucoup de femmes, même diplômées, ne cherchent même plus du travail. En effet, les femmes diplômées de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle qui ne cherchent pas un emploi représentent en 2015 33,5%. Cette situation est inacceptable et doit être combattue avec fermeté. Donc, plus d’un tiers des femmes diplômées de l’université n’exerce aucune activité et n’exprime pas un besoin d’emploi ; quel autre gaspillage. La protection sociale passe aussi par la création des emplois décents et durables. Une politique volontariste de l’emploi est seule capable de lutter efficacement contre ce type de gaspillage et de vulnérabilité, voire même de gâchis. Créer massivement des emplois dans tous les secteurs et pour  toutes les qualifications. Revoir l’organisation et les programmes de l’enseignement supérieur doit être une priorité absolue. Le cas de l’enseignement des sciences sociales est exemplaire en termes d’échec systémique. Les diplômés dans ses disciplines n’ont aucune utilité sociale ni des compétences particulières pour remplir des fonctions dans les entreprises et les administrations. Leur employabilité est extrêmement difficile. Créer annuellement, au moins 500.000 emplois pour les diplômés de l’université (autour de 280.000), de la formation professionnelle (autour de 80.000) et pour les autres, actuellement sans emploi. Ceci est possible si des programmes de ré-industrialisation du pays sont mis en place et des programmes de développement de l’agriculture sont lancés au cours des deux années à venir. Le cumul de chômeurs par ajout annuel risque de devenir un problème de  stabilité et de cohésion nationale qui dépassera la question de protection sociale.

Par ailleurs, il faut réhabiliter l’école primaire et le collège qui sont aujourd’hui les parents pauvres du système éducatif. Nos écoles primaires sont sous équipées, les enseignants peu qualifiés et les conditions de vie des enfants dans les villages et les agglomérations des hauts plateaux et du sud sont très difficiles. Une injustice à cet âge marquera l’enfant à vie. Le transport scolaire, les cantines offrant des repas équilibrés, un système de chauffage et des bourses pour les plus démunis, doivent être des priorités dès la prochaine rentrée.

  • Le soutien du pouvoir d’achat des ménages par les subventions : La subvention des produits alimentaires et des produits énergétiques profite d’abord aux ménages les plus aisés, à une administration prédatrice et aux entreprises dont elles freinent ou découragent tout effort de productivité et d’innovation. « 70% des carburants sont consommés au centre du pays où  quatre wilayate accueillent 47% du parc national de véhicules alors qu’elles ne comptent que 15% de la population ». Toute politique des prix relative aux produits alimentaires et aux produits énergétiques doit d’abord lutter contre les rentes de producteur et de consommateur qui se sont installées au centre du pays et accessoirement autour des grandes métropoles régionales.

« A cet effet, il faut aller progressivement mais sûrement, non pas vers un ciblage des catégories à protéger difficile à réaliser concrètement, mais vers la distribution d’un revenu universel qui accompagnera à terme le retour pur et simple vers la vérité des prix.  Celle-ci ne doit pas faire peur si on sait simultanément combattre les marges scandaleuses des importateurs de produits de base alimentaires et non-alimentaires. La vérité des prix aura aussi pour avantage de restituer à Sonatrach et à Sonelgaz la valeur ajoutée qui leur revient, permettra de mesurer leur productivité propre et de lutter contre leurs surcoûts structurels que cache trop facilement l’alibi des prix administratifs fixés par l’autorité publique. A l’instar des autres sociétés pétrolières, la Sonatrach doit impérativement combattre les surcoûts et parfois la gabegie en son sein. »

La distribution du revenu universel nécessite  une administration sociale efficace qui, malgré les effectifs pléthoriques dont elle dispose à l’heure actuelle, est loin des performances attendues d’elle. Ces personnels doivent être formés d’urgence à leur nouvelle mission. Elle nécessite  aussi et d’urgence une attaque frontale contre l’inflation comme le montre l’exemple de pays qui ont adopté cette politique.

L’inflation est un impôt sur les pauvres. La lutte contre l’inflation est la condition de succès de toute politique de protection.

  • La protection sociale proprement dite : Elle s’est renforcée avec la construction de systèmes de retraite, de financements du chômage et d’assurances-maladie de plus en plus généreux qui couvrent non seulement les cotisants mais l’ensemble des personnes bénéficiant de la pension de chômage.
  • Accès au logement : Au cours du dernier quart de siècle, l’Algérie a fait un effort exceptionnel en matière de construction de logements. La politique mise en place a été très généreuse en direction de toutes les catégories sociales, mais certaines ont profité plus que d’autres.  Dans les programmes de soutien massif, les classes moyennes, vecteurs sociaux de stabilité, ont moins profité car trop riches pour bénéficier des avantages du système, particulièrement le logement social et trop pauvres pour accéder aux logements mis sur le marché par des promoteurs privés. L’Etat a corrigé cette  anomalie en mettant en place un programme destiné aux revenus moyens. Mais la forte subvention de l’Etat (plus de 40%) à ce type de logement (LP, AADL), ouvre la voie à la spéculation. La véritable politique publique du logement doit être définie autour de trois volets : le logement social non cessible et destiné aux catégories les plus vulnérables moyennant le paiement d’un loyer modéré ; ce loyer peut même être pris en charge par les collectivités locales ou un fonds de solidarité à créer ; le deuxième volet (accession à la propriété)  est orienté sur les autres catégories de la société et ciblerait l’accession à la propriété et où l’Etat intervient par des soutiens directs comme la garantie de crédits à long terme et la bonification des taux d’intérêt voire même une aide frontale segmentée en fonction des revenus des bénéficiaires.  Par cette approche, le logement social demeure la propriété publique et le logement promotionnel propriété des personnes physiques ayant financé leur logement, même avec l’aide de l’Etat. Ainsi, la spéculation n’aura pas sa raison d’être, puisque le premier type de logement n’est pas cessible et le deuxième a été payé au prix du marché, mais subventionné. Toutes les demandes de logement visant la spéculation disparaitront. Le troisième volet doit viser le marché locatif ; la formule location-vente devrait aller dans ce sens.  C’est peut être dans cette politique renouvelée du logement que va se positionner la nouvelle Banque de l’habitat. 

Enfin, l’habitat rural a connu un franc succès en fixant les populations dans les compagnes. Il doit être renforcé par des actions volontaristes comme l’augmentation significative de l’aide directe. La politique de l’habitat rural a aussi une visée d’aménagement du territoire.

  • Réduire la fracture territoriale : En dépit de l’absence de données économiques et démographique régionales, les statistiques fiscales et sociales disponibles permettent d’affirmer qu’au cours des dix dernières années des territoires ont gagné et d’autres ont perdu en emplois en revenus et en dynamique socioéconomique. Un territoire comme l’Algérie, avec ses diversités géographiques, géologiques, climatiques, de relief et même culturelles, a besoin d’être aménagé pour une meilleure exploitation de ses ressources et une meilleure occupation de son espace. Passer de l’espace géographique à celui socioéconomique est l’affaire des politiques d’aménagement du territoire. Le SNAT (2030) adopté en 2010, a proposé un schéma cohérent et réaliste pour rendre le territoire « exploitable » et surtout pour limiter les fractures territoriales. L’évaluation à  mi-parcours en 2020 a montré les limites de sa mise en œuvre et ainsi les résultats très au deçà des objectifs. En effet, les efforts de l’Etat en matière  d’équipements n’ont pas entrainé les dynamiques de rattrapage et d’équité territoriale attendus. La répartition spatiale de la population n’a pas changé et le croît démographique a continué à se concentré sur le littoral et marginalement sur les hauts plateaux. Aux plans socioéconomiques, les disparités régionales persistent encore alors que la qualité des services publics dans les hauts plateaux et le grand Sud est très loin de celle du Nord ; c’est le cas notamment de l’éducation, de la santé, des transports etc. Les fonds spéciaux mis en place (Fonds des Hauts plateaux, Fonds du grand Sud, Fonds d’Aménagement du territoire …, ont été vidés de leur substance (voir le rapport de la Cour des comptes à ce sujet). Une nouvelle politique d’aménagement du territoire plus volontariste doit être définie urgemment et des moyens consistants doivent être mobilisés pour lutter efficacement contre la fracture territoriale et pour rendre le territoire équilibré et économiquement viable.  La littoralisation s’accentue, l’option Hauts Plateaux ne se concrétise pas, les grands transferts de l’Albien vers les hauts plateaux n’a pas  connu de début de réalisation. Le Grand Sud reste à explorer pour ses ressources minières et touristiques.

Prochaine chronique : Rétablir les équilibres macro-économiques et conclusions.

ANOUAR EL ANDALOUSSI

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