10/05/2024
CHRONIQUECHRONIQUE/EDITO

Chronique Eco: Le Marché contre l’Etat, un combat à armes inégales

Nous sommes très loin de la métaphore d’Adam Smith, économiste anglais, fondateur de la théorie de l’économie libérale, qui qualifiait le marché de « main invisible ». Pour A. Smith, le marché concurrentiel est la forme la plus évoluée de l’organisation économique et de l’efficacité de l’allocation des ressources. La rencontre d’une offre et d’une demande conduit à un prix d’équilibre pour le consommateur et le producteur. Ceci peut être vrai dans une économie totalement libre et où n’existe aucune restriction à la concurrence sur le marché. Nous sommes loin de cette situation lorsque l’économie n’est pas encore bien organisée, la concurrence est contrecarrée par des comportements prédateurs et lorsque la liberté des prix est contrainte par des considérations économiques, sociales ou même politiques. Ainsi, il arrive que l’Etat intervienne pour protéger une catégorie de producteurs (éleveurs par exemple), de consommateurs (produits de base) ou certaines entreprises (PME, Start-up) ou de façon générale toute situation qui présente un intérêt national et pour laquelle le marché n’est pas en mesure de donner une satisfaction à la hauteur de l’enjeu (services publics, investissements structurants….) Quand l’Etat intervient pour corriger les prix dans le sens souhaité, il le fait souvent par des instruments administratifs (prix administrés, dérogation dans l’attribution de la commande publique, rationnement dans certaines situation …) ou par des instruments budgétaires (subventionner certains producteurs ou consommateurs)  ou fiscaux (exonérations de certains impôts et taxes pour certains producteurs). A priori, ce système de correction des « défaillances » du marché peut paraitre justifié et même efficace pour atteindre les objectifs attendus. On peut parler alors de la complémentarité entre le marché et l’Etat ; l’un pour l’efficacité économique et l’autre pour la justice sociale. Toute la théorie économique et les politiques du bien-être ont été élaborées sur cette complémentarité.  Dans la réalité des économies désorganisées où les marchés sont peu concurrentiels et l’existence d’un commerce informel, la complémentarité souhaitée se transforme en une série de disfonctionnements conduisant à la fois à une faible efficacité des marchés, un faible traitement des questions de justice sociale, un contournement des règles et un détournement des subventions au profit d’agents sans morale et sans scrupules. Le marché, dans ses formes, formelles et informelles, met en difficulté le rôle de l’Etat dans sa politique de couverture des besoins de la population avec une certaine équité et avec d’énormes efforts budgétaires. Les subventions destinées aux ménages à faible pouvoirs d’achat se trouvent dans les poches des spéculateurs par l’effet de la désorganisation des marchés formels et l’émergence avec force des marchés informels. L’administration, instrument de l’Etat, abdique par incompétence ou par corruption, devant la puissance du marché informel.   Des alertes ont été données, il y a longtemps, sur le danger pour l’Etat de l’élargissement du marché informel. Avec l’économie informelle, plusieurs pans de l’économie nationale échappent aux politiques publiques et risquent à terme de passer à d’autres formes y compris la violence, tant les intérêts et les enjeux pour ses acteurs sont énormes. Il est temps de mettre une limite à cette expansion si l’on veut éviter une perte totale du contrôle sur les activités économiques, ce qui aura pour conséquence la perte des revenus fiscaux et l’inefficacité des politiques publiques quels que soient leurs impacts sur la population ; il y va de la crédibilité de l’Etat, comme puissance publique. L’intervention de l’Etat par le budget ou par la fiscalité doit être étudiée et mesurée, car tout abus dans cette intervention conduirait à des distorsions sur les marchés et à une inefficacité dans l’allocation des ressources. Le bons sens suggère de laisser le marché se développer dans le sens de la promotion de la concurrence et intervenir par la régulation en amont du marché et de manière réfléchie et stable. Les interventions récurrentes, de court terme, conjoncturelles, perturbent le marché davantage et créent des occasions de capture des rentes de situations. Agir sur la demande par des subventions monétaires directes et non par la tarification administrative. Agir sur l’offre (dans le sens de stimuler la production) de façons directe (par le budget ou la fiscalité) et ainsi laisser se dégager sur le marché libre le prix d’équilibre qui exprimera réellement la rationalité des producteurs et des consommateurs. L’Etat n’a pas vocation (et il n’a pas la compétence nécessaire) à devenir l’acheteur national des céréales, de la poudre de lait, des viandes, des légumes secs, etc. ; mais il a l’obligation de réguler par les instruments économiques le niveau des prix ou le pouvoir d’achat des consommateurs par des transferts directs et monétaires à ces derniers. L’intervention sur le fonctionnement du marché crée des situations favorables à l’émergence du commerce informel et à la spéculation. Le traitement judiciaire de cette dernière n’est pas non plus la solution en raison de son inefficacité. Il doit rester marginal pour traiter les cas extrêmes (crime économique). Une économie de marché n’a de sens que si elle est totale et ses règles sont d’application universelle.  Le marché peut être contraint par l’intervention de l’Etat, alors son dual (informel) prend le relai pour avoir toujours le dernier mot devant l’Etat ; autant le laisser fonctionner normalement pour produire au moins ses effets positifs sur l’économie et sur le consommateur.  

ANOUAR EL ANDALOUSSI

Une réflexion sur “Chronique Eco: Le Marché contre l’Etat, un combat à armes inégales

  • Abbar Mohammed

    L’article sur le rôle de l’état dans l’économie est constructif! Il faut repenser l’économie nationale, la dépense publique, les subventions et la fiscalité… la fuite en avant et la politique de replatrage profite en dernière instance à linformel de manière indirecte et à terme.

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